Jean a écrit :Autisme et société : quand les personnes autistes s'expriment
Extrait d'une conférence de 2005, publiée en Mai 2006 par l'UNAPEI - Colloque scientifique 2005 -"Autismes - Personnes autistes"
Brigitte CHAMAK - Chercheur à l'INSERM en sociologie et anthropologie de la médecine, CESAMES, Université René Descartes, Paris [/b]
Texte intégral :
Comme ce colloque porte sur la diversité des formes d'autisme, j'ai choisi de vous exposer le phénomène d'expression et de témoignage des personnes autistes. L'émergence de ce mouvement est liée à l'élargissement des critères de diagnostic de l'autisme. En effet, la catégorie des troubles envahissants du développement inclut aujourd'hui à la fois des personnes sévèrement handicapées sans langage, mais aussi des personnes ayant des capacités langagières et des difficultés d'interaction sociale.
Ces adultes avaient reçu des diagnostics variés : troubles de la personnalité, dysharmonie psychotique, personnalité border line ou même schizophrénie. Elles se reconnaissent désormais dans le diagnostic d'autisme et se constituent en communauté. Ce mouvement est apparu au début des années 1990 aux Etats-Unis, et en France au début des années 2000. Pourquoi parler des personnes autistes qui s'expriment alors que de nombreux individus sont sévèrement handicapés ?
De nombreux professionnels insistent sur la différence entre ces deux groupes tandis que d'autres, notamment les chercheurs en sciences cognitives, estiment que les témoignages et l'analyse des modes de fonctionnement des personnes qui parlent aident à comprendre celles qui ne s'expriment pas. L'étude de ce mouvement constitue l'un des aspects de mon projet de recherche, financé par la fondation de France, qui porte sur les transformations des représentations de l'autisme. Je travaille au sein du laboratoire de recherche en sociologie, le CESAMES dirigé par Alain Ehrenberg.
Mon exposé s'articule autour de trois thèmes principaux : les enseignements fournis par l'expression des personnes autistes, l'historique de la constitution des associations des personnes autistes - et leurs revendications -, ainsi que les pistes de recherche envisageables. Différentes classifications existent, qu'elles soient française, américaine ou internationale. La classification internationale n'emploie plus le terme de psychose, mais celui de trouble envahissant du développement. Cette dernière catégorie regroupe des autistes aux profils très variés. Le syndrome d'Asperger apparaît dans les classifications en 1993 pour la classification internationale, en 1994 pour la classification américaine, et seulement en 2000 en ce qui concerne la classification française. En fait, les témoignages ne commencent à apparaître qu'au début des années 1990, quand les classifications ont été modifiées. Si ces personnes ne s'exprimaient pas auparavant c'est qu'elles ne pouvaient se reconnaître au travers de l'autisme considéré comme une psychose sévère sans langage. Désormais, l'autisme peut être défini comme un trouble envahissant du développement apparaissant chez l'enfant avant l'âge de trois ans, présentant des problèmes dans les communications verbales et non verbales, les interactions sociales, ainsi que des restrictions d'intérêt et des comportements répétés. De nouvelles personnes capables de parler se retrouvent alors classées au sein de cette catégorie.
De nombreuses personnes se sont alors exprimées, comme Jim Sinclair, qui est à l'origine de la constitution de la première association de personnes autistes. Wendy Lawson et Edgar Schneider, pour leur part, ont été diagnostiqués schizophrènes. A partir du moment où ils se sont retrouvés dans les caractéristiques de l'autisme, ils ont mieux compris leurs problèmes, ont pu les surmonter et en voir les aspects positifs. Cela leur a permis de rencontrer d'autres personnes ayant les mêmes difficultés. Van Dalen, qui présente lui aussi quelques caractéristiques autistiques, a précisé les différences de perception, notamment la vision en détail, qui s'avère problématique pour obtenir une vision d'ensemble des problèmes.
1") Que nous apprennent ces témoignages ?
Tous montrent leur difficulté à vivre en société, à comprendre les autres, leur besoin de maîtriser l'environnement, ce qui les amène à développer une hantise des imprévus et une résistance au changement. Elles ont du mal à tenir compte du contexte, à généraliser, et ont des difficultés à faire des choix. Elles ne supportent pas les échecs et présentent des particularités sensorielles (hypo ou hypersensibilité). Enfin, elles ont des difficultés à décoder leurs émotions et celles des autres.
Les témoignages de ces personnes sont intéressants à plus d'un titre. Ils confirment ce que disent certains professionnels, mais permettent en outre d'obtenir une vision d'ensemble de ces difficultés. Quels sont les messages de ces personnes ? Liane Holliday Willey estime que l'autisme est une zone très vaste de déficiences et d'aptitudes, avec de nombreuses variations et différences. Tous les témoignages mettent en avant la nécessité de bénéficier d'un environnement stimulant et structuré. Ils précisent qu'il est nécessaire de tenir compte des particularités sensorielles et du besoin d'anticiper. Ils ont besoin de règles explicites et doivent éviter les surcharges émotionnelles et sensorielles.
Ces personnes développent des stratégies de défense en vue d'éviter l'afflux d'informations et d'émotions trop difficiles à gérer. L'accent est mis sur leur vulnérabilité et les abus dont elles sont victimes : elles servent souvent de boucs émissaires, notamment à l'école. Les récits ont une fonction de construction d'identité. Alors même que les représentations communes de l'autisme font référence à l'indifférence aux autres et aux clichés du repli sur soi, ces témoignages mettent en avant l'importance de l'entourage et des influences sociales et culturelles
(1).
2°) Historique de la construction des associations de personnes autistes
A la fin des années 1980, Jim Sinclair a initié des échanges entre personnes autistes. En 1991, certains d'entre eux ont participé à la conférence de la société américaine de l'autisme, et ont créé l'association ANI (Autism Network International). En 1992, Jim Sinclair a créé leur journal, Notre Voix, et, en 1993, lors d'un colloque à Toronto, il a réalisé une intervention ayant pour titre : « ne vous lamentez pas pour nous». Ce discours a eu un écho important, et a amené un nombre important de personnes autistes à adhérer à cette association. En 1994, le forum des personnes autistes était créé (c'était auparavant un forum d'associations de parents). En 1995, ils participent à une conférence d'enfants autistes de haut niveau organisée par des parents mais, à partir de 1996, ils décident d'organiser leurs conférences de manière autonome.
Jim Sinclair, lors de son exposé de 1993, expliquait que l'autisme est une manière d'être, un trouble envahissant qui teinte toute sensation, perception ou pensée et qu'il est impossible de séparer l'autisme de la personne. Il estime que, lorsque les parents souhaitent que leur enfant soit guéri de l'autisme, ils demandent en fait que leur enfant soit un autre enfant, non autiste. C'est le message que les enfants entendent lorsque les parents prient pour une guérison. Jim Sinclair termina son exposé en demandant que l'on reconnaisse que la façon d'être des autistes n'était pas seulement une façon d'être déficiente par rapport à celle des autres personnes et exprimait sa volonté de créer des ponts entre autistes et non autistes.
Les rencontres entre personnes autistes, nommées Autreat, ont commencé en 1996 dans un lieu situé à la campagne, permettant aux personnes de s'isoler facilement si elles le souhaitaient. Elles regroupaient aussi bien des personnes autistes qui parlaient que d'autres n'étant pas à même de s'exprimer. Des enfants avec leurs parents étaient également présents. A partir de 2004, ces colloques se sont déroulés dans un campus universitaire. Lors de ces rencontres, les thèmes majeurs abordés ont été : la nécessité de voir les aspects positifs de l'autisme, les possibilités de fonctionnement dans un monde « neurotypique », et la place du mouvement autiste dans le mouvement plus large des personnes handicapées.
Il ne s'agit donc pas, pour ANI, de trouver des remèdes à l'autisme, mais de former les personnes autistes afin qu'elles puissent assurer elles-mêmes leur propre défense, constituer une communauté, accroître la visibilité publique de leurs actions, réduire la stigmatisation, identifier et former des alliés potentiels au sein de la population non autiste. Michelle Dawson, qui est une personne autiste soutenue par ANI, explique sur son site internet que, selon ses vues, les associations de parents ont confisqué la parole aux personnes autistes. Elle se place en opposition par rapport aux méthodes comportementales, et refuse le statut de malade ou de patient. Elle intente des actions en justice contre la discrimination et milite pour que les pouvoirs publics tiennent compte de l'avis des personnes autistes. Son témoignage à la Cour suprême du Canada a contrecarré l'action d'associations de parents voulant imposer la méthode ABA sur tout le territoire du pays.
Michelle Dawson a un statut de conseillère scientifique à l'hôpital Rivière des prairies à Montréal, dans le service du docteur Mottron. Elle a expliqué, au cours d'un entretien, que l'autisme n'était pas une maladie, pas plus que le fait d'être homosexuel. Quand des personnes autistes réalisent des tâches que des non autistes ne savent pas faire, la conclusion est souvent que personne ne sait comment elles sont parvenues à ce résultat. Aucune étude n'est réalisée sur ces thèmes et l'accent est toujours mis sur les déficits. Michelle Dawson travaille justement sur la thématique des capacités spécifiques des personnes autistes.
L'émergence de ce courant, consistant à transformer des difficultés en connaissances afin de devenir un partenaire de l'autisme, est très récente en France. La conscience d'appartenir à une communauté commence à se propager. L'association francophone SATEDI a été créée en 2002. Elle a pour finalité d'apporter un éclairage sur le fonctionnement autistique, d'apporter de l'aide aux personnes autistes et à leur famille, et d'influer sur l'orientation de la recherche et les décisions politiques. Un nouveau courant, orienté vers la légitimation des prises de paroles des personnes autistes, s'est donc récemment constitué. Les témoignages ont pour finalité de capitaliser de véritables connaissances sur l'autisme. Ces nouvelles associations s'orientent donc vers un engagement direct.
Ce mouvement s'apparente aux groupes d'auto-support, qui présentent trois types de revendications : la première est épistémologique, afin que leur expérience soit reconnue comme une connaissance à part entière ; la deuxième est politique, afin que leurs problèmes bénéficient d'une attention particulière de la part des autorités, et la troisième est identitaire, afin d'être reconnus comme de véritables partenaires. La transformation des classifications a donné la possibilité à certaines personnes de témoigner en tant qu'individus autistes.
3°) les pistes de recherche
Ce mouvement s'est accompagné d'une modification des conceptions des chercheurs en sciences cognitives, qui parlent désormais de neurodiversité. Des personnes comme Simon Baron-Cohen, Francesca Happé ou Laurent Mottron font partie de ce courant, mais s'intéressent en fait plus particulièrement aux personnes présentant un syndrome d'Asperger ou un autisme de haut niveau. Pour eux, l'autisme est un modèle d'étude du fonctionnement de la pensée. Ils décrivent différents modèles cognitifs, dont ceux de la théorie de l'esprit et de la cohérence centrale.
Les difficultés, pour les personnes autistes, à se représenter les états mentaux des autres ont été largement analysés. Par ailleurs, le problème de la cohérence centrale a été décrit par Uta Frith comme une focalisation sur les détails induisant des difficultés de compréhension de l'ensemble de la situation. Les personnes non autistes ont la capacité d'intégrer de multiples informations, tout en écartant les détails leur paraissant insignifiants, pour en retirer un sens.
Les transformations des représentations de l'autisme ont diverses origines : médicale (la modification des critères de diagnostic), scientifique (les nouvelles connaissances produites par les chercheurs en sciences cognitives et les généticiens), associative avec les parents et les personnes autistes elles-mêmes, mais également sociale et culturelle. Lors de ces cours au Collège de France en 2004, Ian Hacking a mis l'accent sur l'autisme comme genre culturel incluant films, romans, ouvrages de parents. Ces multiples productions concourent à modifier et diversifier les représentations de l'autisme. Une anthropologue, Véronique Servais, a souligné le rôle crucial du changement de regard porté par les familles et l'entourage dans les modifications des interactions affectives et sociales. Toutes ces transformations peuvent mener à une meilleure intégration et compréhension des personnes autistes.
Source : UNAPEI - Colloque scientifique 2005 « Autismes -Personnes autistes >)
(1) Chamak, B. (2005) Les récits de personnes autistes : une analyse socio-anthropologique, handicap, revue de sciences humaines et sociales, 105-106,33-50.