Predictive Processing et autisme

Je suis autiste ou Asperger, j'aimerais partager mon expérience. Je ne suis ni autiste ni Asperger, mais j'aimerais comprendre comment ils fonctionnent en le leur demandant.
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budakesi
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Predictive Processing et autisme

#1 Message par budakesi » lundi 21 mai 2018 à 15:15

Modération (Tugdual) : Déplacement du sujet depuis "À propos de l'autisme et du S.A."


"Donc euh... suivons le cycle des plantes nous aussi.
Oui ! d'ailleurs , j'ai un peu étudié la neurobiologie des plantes et je me sens très végétal ! Une façon de percevoir et d'agir avec une faculté de prédiction très rudimentaire mais suffisante pour faire sans parfaire !
Est-ce qu'on ne pourrait pas ouvrir un topic dédié à ce sujet?
J'ai plein de questions qui me viennent?"

Je suis la suggestion de Pimpoline pour aborder un des axes de recherche actuels sur l'autisme.

J’ai découvert la notion de Predictive Processing en tombant sur un article portant sur la neurobiologie des plantes (Predicting Green, Calvo & Friston 2017).
Calvo et Friston disent que les plantes, comme les espèces animales –y compris l’homme-, sont des systèmes vivants sensibles qui tendent, pour rester en vie, à minimiser les surprises et à prédire le mieux possible leur environnement pour être prêts à y répondre de la façon la plus économe en énergie.
Ils définissent l’inférence perceptuelle comme l’ajustement des états internes pour fournir de meilleures prédictions, et l’inférence active comme le processus complémentaire de prélèvement dans l’environnement pour faire en sorte que les prélèvements sensoriels collent aux prévisions, et ce afin de minimiser la surprise.
Ce qui est intéressant, c’est que même en l’absence de système neuronal (puisque les végétaux en sont dépourvus), la fonction de prédiction peut s’exercer, ce qui signifie que seule la fonction est essentielle, et pas les détails de la structure du substrat sur lequel elle est mise en oeuvre.
Les plantes déchargent des pics de tension, comme les animaux. Les décharges peuvent être déclenchées par des signaux variés, comme des variations d’intensité lumineuse, de température, une stimulation mécanique etc…., ce qui peut induire des changements dans la photosynthèse, la respiration ou l’expression de certains gènes. Ce type de décharge joue un rôle central en intégrant les états internes de la plante via la propagation de signaux électriques.
Je me suis dit : « Tiens je fonctionne comme une plante ! ». Comme un système vivant suffisamment simple, dans sa propre complexité, pour se contenter des actions qui visent à maintenir l’homéostasie comme condition de la vie.
Je me suis dit aussi : « Tiens, les personnes typiques fonctionnent de façon beaucoup plus compliquée, avec leurs attentes totalement imprévisibles, inconnaissables, et une exigence de « davantage que la vie », « davantage que le réel ».»
Et de façon indépendante, je suis ensuite tombée sur deux articles qui appliquent le modèle pour tenter une explication du TSA: Van de Cruys 2014 et Constant et van de Cruys 2018.
L’hypothèse d’un déséquilibre entre perception et action (couplage sensori-moteur) est au cœur du modèle computationnel Bayesien quand il étudie le TSA.
Mais là où le modèle voit un déséquilibre, je vois plutôt un décalage temporel, et l’interposition de la sensation (l’effet de la perception, ce que cela me fait de percevoir ce que je perçois).
La sensation s’interpose : elle donne le sens, c’est-à-dire le point de départ et l‘orientation de l’action. Si je ne sens rien, si ce qui se passe n’a pas d’effet sur moi, je n’agis pas. Je ne sais pas quoi faire. C’est aussi peut-être la base de l’homéostasie comme condition de la survie.
Dans le fonctionnement typique, c’est la prédiction perceptuelle qui est pourvoyeuse de sens et oriente les actions. Elle peut commettre des erreurs de prédiction ; elle peut les corriger.
Le problème de l’autiste pourrait-il être que chez lui la prédiction n’est pas (systématiquement) opérationnelle - pour des raisons qui n’appartiennent qu’à lui -dans certaines situations sociales ?
Il existe de nombreuses situations où la difficulté de prédiction n’a pas d’incidence vitale….Il suffit d’être là et d’observer, de regarder, d‘écouter. Ou de partir.

Aujourd'hui, j'ai l'intuition que la particularité de l'autisme ne se situe pas dans ses effets "sociaux" (ce n'est qu'une conséquence) mais dans une façon de percevoir le monde avec très peu d'habituation: le Predictive Processing n'agit pas ou peu.
Ce mécanisme perceptif est pour moi le coeur du sujet (bien plus que ses conséquences en termes de "acculturation").
Peu d'habituation, et une faible activité de PP (Predictive Processing): puisque tout change, on ne sait pas ce qu'il faut retenir, ce qu'il faut écarter pour ne pas se tromper dans l'action, on n'a pas de MODELE dans la tête qui permet au cerveau de prédire les informations pertinentes à extraire de l'environnement pour agir conformément à la situation, et d'extraire seulement celles-là. On ne fait pas confiance à ce qui s'est passé une fois comme étant prédictif de ce qui va se passer une autre fois, car on remarque toujours au moins une différence qui fait que ce n'est pas pareil. Et il faut donc tout traiter. C'est épuisant et c'est justement pour cela qu'on a besoin de certaines routines (moi en tout cas) dont on sait avec certitudes que l'action aura le résultat escompté, notamment en termes d'apaisement.

En ce qui concerne la "communication sociale", la plupart des gens, parce qu'ils veulent obtenir quelque chose des autres, acquièrent progressivement des modèles de comportement à adopter pour obtenir telle ou telle chose de l'autre. Ma vision est que ce mécanisme ne peut se mettre en place que si on (inter)agit avec une intention. Je n'ai la plupart du temps aucun intention, donc ce que je perçois dans l'environnement (et en particulier chez l'autre), c'est tout ce qu'il est et pas seulement ce qui m'est utile.

Sur cette base, je tente d'élaborer une hypothèse qui correspond à la façon dont je sens les choses, de façon purement individuelle:
La perception (par les sens) est habituellement contrôlée par la prédiction (par le cerveau : par la fonction opératoire de la pensée dans le cerveau) pour mener à l’action vitale (biologique) et/ou sociale.
La perception peut se libérer de ce contrôle (dans certaines situations, pour certaines personnes).
Elle peut s’en libérer totalement (pas d’action : contemplation pure)
Elle peut s'en libérer partiellement et conserver une fonction nécessaire à l’action vitale.
C’est la sensation (l’effet sur l’organisme de la perception par les sens) qui s’interpose pour se libérer du contrôle par la pensée opératoire car l’action qu’elle contrôle suffit à maintenir la vie (Piaget, neurobiologie végétale).
La perception contrôlée par la prédiction (pensée opératoire) oriente et régule l’action vitale et sociale (couplage sensori-moteur).
La perception contrôlée par la sensation (pensée intuitive) oriente et régule l’action vitale (couplage « sensationno-moteur »).

J'aimerais bien savoir si cela parle à certains d'entre vous ? Une façon de commencer à confirmer ou d'infirmer totalement mes hypothèses....
"I am, plus my circumstances." José Ortega y Gasset
HPI, diagnostiquée Asperger en janvier 2016

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