Je l'ai été, pendant quelques temps (2/3 années, je pense), pas à un niveau extrême non plus, suffisant pour que ce soit maladif, ça ne montait pas jusqu'au plafond (en même temps, j'ai 19 m2, ça limite les dégâts, on va dire), mais c'était une sorte d'anarchitecture. Une construction amassée au fil du temps, un rempart contre le reste, une protection qui te bouffe de l'intérieur. Des tas qui défient les lois de la gravité, un chemin qui se taille sur un sol couvert, oubliée la couleur de la table.
Et la peur. La peur qu'on entre quand tu es là ou pas, la honte crasse, celle qui te colle à la peau. Pas d'invités, surtout pas. Nettoyage très difficile, sorte de slalom des quelques espaces vides. Surtout ne pas regarder sous le lit.
La saleté de ta tête qui se matérialise devant toi, tu te sens mal, tu veux y faire quelque chose, tu veux te bouger, t'arrive à descendre deux poubelles, et t'es content. T'es content alors que tu viens de balayer deux/trois grains de poussière.
Par où commencer? Tu te paumes dans ton propre labyrinthe, celui que tu t'es construit tout seul. Tu prends un truc, tu le reposes ailleurs. Ça oui, tu déplaces les choses. Tu les étales, tu fais semblant de faire un truc.
Tu dors là-dedans, à côté. Ça te prend la tête, tu rêves que quelqu'un débarque, t'en fais des cauchemars. T'as la trouille au ventre qu'on te découvre. Et tu es incapable de faire vraiment quelque chose. T'as peur de le faire, t'en es incapable. C'est sale, ça sent, et tu te sens comme le déchet qui stagne à côté.
Je rentrerai pas plus dans le détail, parce que j'ai encore honte.
La responsable du logement m'en a parlé, j'ai essayé. Très fort. Vraiment. De me fixer un objectif, un rythme. Un truc tellement insignifiant que ça en devient une montagne énorme.
La deuxième fois, elle a appelé mes parents. Elle avait failli me bloquer l'accès.
Puis, ils sont venus, mes parents, puis elle.
On a fait place nette, nettoyage à fond. Moi, j'étais défoncée au choc. Tous les repères basculaient. D'un coup. La honte, le soulagement, et le dégoût se mêlaient en même temps. Et c'est terrifiant, je peux vous l'assurer. Parce que c'est une entrée fracassante dans mon intimité, dans ce petit univers qui à la fois, me rassurait, parce que ça ne bougeait pas, c'était fiable. Et à la fois, me détruisait, parce que je ne me sentais pas bien du tout dedans. Pour le coup, je me sentais vraiment incapable, j'y arrivais pas, je ne pouvais pas toute seule le faire. Et c'est la matérialisation d'un déséquilibre dans la tête aussi, dans son rapport à soi. Et une logique tellement personnelle.
J'ai appris à la dure comment ne pas reproduire ça, visite 1 à 2 fois par semaine de la responsable, inspection pendant quelques semaines. Depuis, elle n'est plus là, alors, je gère tant bien que mal. Proportionnellement, c'est mieux. Certaines choses rentrent, comme descendre les poubelles, éviter l'accumulation au sol, le balcon est vide, draps changés... D'autres, c'est plus dur (parfois la vaisselle reste, et le sol sous le lit n'est pas toujours très propre, sans compter les trucs qui traînent, mais là, ça commence plus à être un problème de place pour le coup). La rechute peut survenir très rapidement, je le sens et le sais. Ça demande de la concentration. Et la sortie a été brutale, comme si on vous réveillait en ouvrant en grand les volets, la lumière du soleil qui vous brûle la rétine, une fanfare qui joue dans les oreilles avec un ampli...
Si vous subissez ça, restez pas tout seul, même si je sais que c'est très très difficile d'appeler à l'aide, de réaliser les dégâts. Ce serait bien d'avoir une asso comme ils ont en Allemagne.
J'en parle un tout petit plus aujourd'hui, mais c'est des souvenirs cuisants pour le coup, c'est la honte. Ça aurait pu être pire, j'ai vu des personnes qui accumulaient d'avantage de choses, j'essayais de réguler un minimum, c'était tout ce que je pouvais faire.
Enfin bon, si j'arrive à en parler ici, c'est déjà pas mal(j'ai du l'évoquer à deux amis, à tout casser).
Les données virtuelles, c'est autre chose, ce n'est pas matériel comme un objet, ça ne
sent pas, ça ne prend pas une place physique quand vous évoluez dans un espace.