Je me retrouve beaucoup dans les différents témoignages de cette discussion ! Comme le chante Jeanne Cherhal :
C'est une histoire ancienne et pourtant c'est dans ma tête,
J'ai beau lui dire « Fous l'camp », elle reste là.
C'est un vieux souvenir un craquement d'allumette
J'ai beau lui dire « Va t'en », il bouge pas.
Pendant des années je me suis demandée si, par rapport à la majorité des gens, je vivais plus de situations donnant matière à ruminations, si j'avais seulement tendance à moins accepter les accrocs de la vie ou encore si, plus probablement, les deux paramètres se combinaient
. Voici où j'en suis de mes recherches et réflexions sur cette question :
Les personnes avec TSA s'exposent davantage à des situations traumatisantes...
Les personnes avec TSA ont globalement plus de difficultés à :
- concevoir la malveillance et à la détecter,
- déceler le mensonge ,
- éviter des gestes, paroles ou regards susceptibles d'être compris comme de la séduction par les neurotypiques,
- comprendre elles-mêmes certains signaux de séduction qu'on leur envoie.
NOTA : Vis-à-vis de la malveillance et du mensonge, je crois pouvoir dire que les autistes peuvent néanmoins compenser par leur mémoire des détails et leur attachement à la logique, ce qui peut leur donner un avantage pour relever les incohérences du discours si elles sont présentes.
A cela s'ajoute un dysfonctionnement des fonctions exécutives, qui entrent en jeu dans la flexibilité cognitive permettant de gérer l'imprévu. Plus largement, ces fonctions interviennent pour agir de manière adaptée et non automatique. Une altération des fonctions exécutives a pour conséquence des comportements plus rigides, qui, d'un côté, peuvent être mis en relation avec un souci particulier du respect des règles chez les autistes, mais de l'autre, avec un défaut d'affirmation dans les situations où aucune justification autre que leur intuition ou leurs sentiments (notamment l'absence de motivation pour faire ce qu'on leur demande) ne vient à leur secours.
Ainsi, dans le livre
Je pense mieux , Christel Petitcollin commente un passage du livre de Liane Holliday
Vivre avec le syndrome d'Asperger dans lequel l'auteure raconte sa difficulté à dire « non » à des personnes dont elle était pourtant consciente qu'elles profitaient d'elle. C. Petitcollin raccroche ce problème de positionnement au dysfonctionnement des fonctions exécutives qui caractérise les personnes autistes. N'étant pas elle-même spécialiste de l'autisme, je rapporte cet éclairage avec quelques pincettes. Néanmoins, l'explication semble plutôt convaincante, d'autant que je me suis moi-même retrouvée, beaucoup plus jeune, en difficulté pour me protéger face à des manipulateurs, même en ayant perçu des indices d'alerte, du simple fait que je me croyais obligée de justifier mes refus par des raisons objectives ou encore que j'avais du mal à revenir sur un accord que j'avais donné (ou que mon agresseur m'inventait, travestissant mes propos). Plus banalement, au collège, plusieurs camarades profitaient de moi. Je m'indignais dans mon journal intime mais avais du mal à me positionner en situation réelle...
Par ailleurs, l'isolement dans lequel peuvent se trouver les personnes avec TSA est un facteur de vulnérabilité supplémentaire.
Cet ensemble de conditions font que les personnes avec autisme sont probablement davantage victimes d'actes de malveillance ou d'abus :
- manipulations (voir
www.sciencedaily.com),
- abus sexuels (un thème essentiel pour l'association francophone des femmes autistes, à noter également qu'une étude de 1998 a conclu que les abus sexuels étaient deux fois plus importants chez les enfants ayant des troubles envahissants du développement, - cf
https://www.autismparentingmagazine.com ... ationship/)
- vols,
- brimades et harcèlement (une étude – états-unienne? - de 2012 évalue à 63% le taux d'enfants autistes ayant été brimés par leurs pairs - cf
https://www.autismparentingmagazine.com ... ationship/).
...ou simplement susceptibles de générer des regrets
Pour rappel, notre déficit dans les fonctions exécutives a pour conséquence que trop souvent, nous ne trouvons pas « à temps » comment réagir de manière adéquate. Ceci est vrai dans les situations sociales mais aussi, plus largement, dans toutes les situations « dynamiques » tel que la conduite automobile, qui demande une réactualisation et une sélection en continu et rapide des informations relatives à l'environnement. Judy Singer, qui est à l'origine du concept de « neurodiversité » a utilisé une métaphore remarquable pour décrire ce décalage temporel dans le traitement de l'information :
« ces personnes dont l'horloge interne ne semble pas avancer au même rythme que les autres ».
Cette forme de désynchronisation n'entraîne pas toujours de grosses conséquences mais elle peut suffire à entraîner un malentendu sur nos intentions, nos sentiments ou nos facultés. Elle peut ainsi être source de contrariété, donc de regrets. C'est pourquoi nous pouvons ruminer sur des choses plutôt anodines. Un exemple assez emblématique de ce genre de situations apparaît dans la BD de Julie Dachez
La différence invisible, quand, par un automatisme de langage, elle termine la conversation avec son responsable en disant « Bisous. », ce qui la met ensuite dans un embarras extrême.
Toutefois, d'autres facteurs sont à l'origine de malentendus en défaveur des autistes : leur attitude et leur langage non verbal sont généralement lus avec une grille de lecture « neurotypique », à tel point qu'on peut dire qu'il existe un défaut d'empathie cognitive également des personnes non autistes envers les autistes (voir
https://femmesautistesfrancophones.com/ ... nautistes/). Les neurotypiques sont donc susceptibles de voir chez nous de l'hostilité, du snobisme ou au contraire de l'amour là où il n'y en a pas. On peut aussi nous prendre à tort pour des menteu-ses, des personnes pédantes ou des resquilleu-ses (un comble étant donné l'honnêteté légendaire des autistes!). Une courte BD insérée dans l'article de Wikipédia sur le syndrome d'Asperger illustre à merveille ce type de méprise à l'occasion d'un entretien d'embauche.
Par ailleurs, c'est bien connu, les personnes autistes sont plus sujettes aux gaffes par manque d'empathie cognitive, c'est-à-dire une difficulté à se représenter comment l'autre peut comprendre le message et quelles émotions il peut susciter. Je serais tentée d'ajouter (c'est en tout cas ce que je constate pour moi, rétrospectivement) qu'elles ont tendance à sous-estimer les mécanismes de défense ou la puissance du déni chez leurs interlocuteurs et interlocutrices ainsi qu'à surestimer la valeur que les autres accordent à la vérité et à la logique. De ce fait, les personnes avec TSA s'exposent à la fois à des retours de bâton qui peuvent être très violents symboliquement, donc traumatisants, tout en les laissant dans un certain état de sidération, dépassées par l'incommunicabilité à laquelle elles se heurtent.
Lorsqu'on a compris après coup ce qui était en jeu et que cela a eu des conséquences, y compris mineures mais qui peuvent nous gêner, nous sommes bien souvent tentés de « refaire le film » : on réécrit un ou plusieurs scénarios où on s'attribue des actes et paroles différents (comme le décrivent si bien Bidouille ou Zeffe sur ce forum).
Les autistes sont plus sujettes au stress et ruminent davantage que les neurotypiques
L'article sur le lien entre l'autisme et le syndrome du stress post-traumatique cité plus haut mentionne également que les autistes sont moins résistants au stress (
https://www.autismparentingmagazine.com ... ationship/). Il précise notamment que ces personnes considèrent comme traumatisants une plus large gamme de types d'événements que ceux qui sont recensés dans le DSM-5 .
Par ailleurs, une étude scientifique publiée le 28 juillet 2021 sur pubmed par Ofer Golan, Nirit Haruvi-Lamdan, Nathaniel Laor et Danny Horesh (UK, USA, Israel) a établi que les personnes avec TSA sont plus sujettes à la rumination et, partant, au syndrome de stress post-traumatique.
Les ruminations en jeu sont de deux types : d'une part le ressassement, qui consiste à comparer en permanence son état actuel à l’état souhaité, et d'autre part la réflexion, qui se traduit par un effort d’introspection pour résoudre cognitivement ses problèmes (voir le résumé traduit sur le site de l'association francophone des femmes autistes (AFFA) :
https://femmesautistesfrancophones.com/ ... -tsa-sspt/).
Une autre étude dont le résumé est également publié le site PubMed s'est intéressée aux traits particuliers de la rumination des personnes autistes (
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34058847/). Il en ressort par exemple que le sentiment de culpabilité y est très présent.
Les conclusions de la première étude ne sont pas étonnantes lorsqu'on les rapproche là encore du dysfonctionnement des fonctions exécutives (qui se caractériserait en l'occurrence par une difficulté à inhiber une pensée non utile dans le contexte présent) mais aussi de la cérébralité marquée des personnes autistes, ou du moins des personnes ayant le syndrome d'Asperger. En effet, parmi les traits positifs qu'Hans Asperger avaient identifiés dans le syndrome qui portera plus tard son nom se trouve la capacité à résoudre des problèmes en les abordant sous des angles que les autres ne perçoivent pas. Cette tournure d'esprit peut être raccrochée à une hyper-cérébralité (qui explique les ressemblances entre personnes S.A. et H.P.I.) et qui se manifeste également sur ce forum dans le témoignage de Pimpoline ou de EnHans (« comment admettre qu'il n'y a pas de solution ? »).
Comment gérer les ruminations ?
J'ai trouvé très intéressant l'article de Jacques Van Rillaer que Tugdual et Freeshot ont recommandé sur ce forum, qui propose de pratiquer notamment la méditation de pleine conscience et la redirection de l'attention pour ne pas se laisser envahir par les ruminations mentales. Ce type d'exercices rejoint le plan « anti-ruminations » décrit par Dehlynah. Je serais tentée d'y ajouter que lorsqu'on a un profil hyper-cérébral (ce qui est mon cas et avait été relevé lors de mon diagnostic), se donner des objectifs pour produire un travail intellectuel ou créatif est un bon dérivatif. Il s'agit d'orienter toute cette énergie cérébrale vers un meilleur but. Dans mon cas, la mise en forme d'un story-board de BD sur le réchauffement climatique (qui est devenu plus tard un essai illustré) a constitué un bon rempart dans une phase de surgissement des pensées envahissantes.
Par ailleurs, étant donné que ces ruminations peuvent révéler un syndrome de stress post-traumatique, peut-être que certaines peuvent être traitées « à la racine » par l'EMDR. J'ai lu avec attention la discussion du présent site sur le sujet et suis tentée d'essayer.