Marfan ou l'éloge de l'impureté génétique
Posté : jeudi 6 décembre 2007 à 19:38
Un article du Monde sur le sujet.
Pour en savoir plus sur le syndrome de Marfan, voir www.vivremarfan.org
Marfan ou l'éloge de l'impureté génétique
Voici un ouvrage salutaire et original. Il a pour origine l'entretien accordé au Monde dans l'édition datée du 5 février par le professeur Didier Sicard, président du Comité consultatif national d'éthique. Il prolonge aussi un point de vue publié peu après, toujours dans ces colonnes, par Nicolas Journet, scénariste et documentariste, porteur d'une mutation génétique à l'origine du syndrome de Marfan.
Le professeur Sicard dénonçait alors les risques d'une évolution vers un nouvel eugénisme, conséquence du développement du dépistage prénatal et de la sélection des embryons conçus ou non in vitro. Il évoquait aussi la volonté, exprimée par certains, d'organiser un dépistage systématique, avant la naissance, des stigmates génétiques de ce syndrome relativement rare transmis sur un mode héréditaire et qui concerna notamment le président Lincoln (1809-1865), le compositeur Mendelssohn (1809-1847) ou le violoniste Paganini (1782-1840). Il s'agit d'un ensemble de symptômes d'expressions très variables pouvant concerner le squelette, le tissu conjonctif ou le système cardio-vasculaire. Rien ne permet toutefois d'affirmer que ces symptômes auront des conséquences pathologiques ni, le cas échéant, de prédire leur degré de gravité.
Chez l'auteur, il y eut d'abord une douloureuse prise de conscience, un parcours marqué par des relations difficiles avec des représentants du corps médical. Puis vint l'heure où il prit la décision de ne plus accepter le rôle de coupable trop souvent assigné aux personnes victimes d'affections génétiques et, plus encore, à leurs familles. Revendiquant désormais son statut de "mutant", il sait qu'il fera tout pour avoir des enfants sans avoir recours au dépistage sélectif. Il sait aussi que l'existence humaine ne saurait se réduire à des caractéristiques biologiques.
Sur un rythme enlevé, il nous livre une réflexion à la fois personnelle et politique centrée sur la problématique du diagnostic préimplantatoire, cette technique issue du développement de la génétique et de l'assistance médicale à la procréation. Son analyse se nourrit des textes signés par les principaux défenseurs des politiques eugénistes de la fin du XIXe et de la première moitié du XXe siècle. Sans jamais vouloir écrire une histoire de l'eugénisme, il estime que cette histoire s'enrichirait d'entendre aujourd'hui ceux qui, comme lui, sont les "premiers concernés".
Nicolas Journet connaît et mesure les risques pris par ceux qui tentent de mettre en garde contre les rapides évolutions actuelles de pratiques de dépistage in utero et de tri sélectif des embryons. A commencer par celui d'être accusé de militer contre la dépénalisation de l'interruption volontaire de grossesse. L'auteur prend bien garde de ne pas tomber dans les principaux pièges. Il assure ne pas faire partie des bataillons de l'"antiscience", ne croire en aucune religion, "qu'elle soit catholique, musulmane, juive, bouddhiste ou écologiste".
Il ne croit pas non plus dans la religion du "progrès" ou de "l'eugénisme". Il regrette amèrement les propos tenus avant l'élection présidentielle par Nicolas Sarkozy quant au caractère génétique des comportements pédophiles ou des tendances suicidaires des adolescents. Il est aussi opposé aux analyses ADN imposées pour les regroupements familiaux. Sans souffrir d'"antisarkozysme primaire", il sait que "le pire est à craindre" quand "l'eugénisme s'installe dans la loi".
Sans être fondamentalement opposé à toute forme de dépistage prénatal, il aimerait que, dans ce domaine, "la société assume son rôle", que les mots retrouvent leur sens et que l'on ose qualifier d'"eugénistes" la pratique du "diagnostic préimplantatoire" ou celle de "l'interruption médicale de grossesse". Il revendique, enfin, un véritable et nouveau "droit à la différence" qu'il exprime dans un étonnant "éloge de l'impureté génétique".
GÉNÉTIQUEMENT INCORRECT de Nicolas Journet. Ed. Danger public, 256 pages, 16,90 €.
Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 06.12.07
Pour en savoir plus sur le syndrome de Marfan, voir www.vivremarfan.org
Marfan ou l'éloge de l'impureté génétique
Voici un ouvrage salutaire et original. Il a pour origine l'entretien accordé au Monde dans l'édition datée du 5 février par le professeur Didier Sicard, président du Comité consultatif national d'éthique. Il prolonge aussi un point de vue publié peu après, toujours dans ces colonnes, par Nicolas Journet, scénariste et documentariste, porteur d'une mutation génétique à l'origine du syndrome de Marfan.
Le professeur Sicard dénonçait alors les risques d'une évolution vers un nouvel eugénisme, conséquence du développement du dépistage prénatal et de la sélection des embryons conçus ou non in vitro. Il évoquait aussi la volonté, exprimée par certains, d'organiser un dépistage systématique, avant la naissance, des stigmates génétiques de ce syndrome relativement rare transmis sur un mode héréditaire et qui concerna notamment le président Lincoln (1809-1865), le compositeur Mendelssohn (1809-1847) ou le violoniste Paganini (1782-1840). Il s'agit d'un ensemble de symptômes d'expressions très variables pouvant concerner le squelette, le tissu conjonctif ou le système cardio-vasculaire. Rien ne permet toutefois d'affirmer que ces symptômes auront des conséquences pathologiques ni, le cas échéant, de prédire leur degré de gravité.
Chez l'auteur, il y eut d'abord une douloureuse prise de conscience, un parcours marqué par des relations difficiles avec des représentants du corps médical. Puis vint l'heure où il prit la décision de ne plus accepter le rôle de coupable trop souvent assigné aux personnes victimes d'affections génétiques et, plus encore, à leurs familles. Revendiquant désormais son statut de "mutant", il sait qu'il fera tout pour avoir des enfants sans avoir recours au dépistage sélectif. Il sait aussi que l'existence humaine ne saurait se réduire à des caractéristiques biologiques.
Sur un rythme enlevé, il nous livre une réflexion à la fois personnelle et politique centrée sur la problématique du diagnostic préimplantatoire, cette technique issue du développement de la génétique et de l'assistance médicale à la procréation. Son analyse se nourrit des textes signés par les principaux défenseurs des politiques eugénistes de la fin du XIXe et de la première moitié du XXe siècle. Sans jamais vouloir écrire une histoire de l'eugénisme, il estime que cette histoire s'enrichirait d'entendre aujourd'hui ceux qui, comme lui, sont les "premiers concernés".
Nicolas Journet connaît et mesure les risques pris par ceux qui tentent de mettre en garde contre les rapides évolutions actuelles de pratiques de dépistage in utero et de tri sélectif des embryons. A commencer par celui d'être accusé de militer contre la dépénalisation de l'interruption volontaire de grossesse. L'auteur prend bien garde de ne pas tomber dans les principaux pièges. Il assure ne pas faire partie des bataillons de l'"antiscience", ne croire en aucune religion, "qu'elle soit catholique, musulmane, juive, bouddhiste ou écologiste".
Il ne croit pas non plus dans la religion du "progrès" ou de "l'eugénisme". Il regrette amèrement les propos tenus avant l'élection présidentielle par Nicolas Sarkozy quant au caractère génétique des comportements pédophiles ou des tendances suicidaires des adolescents. Il est aussi opposé aux analyses ADN imposées pour les regroupements familiaux. Sans souffrir d'"antisarkozysme primaire", il sait que "le pire est à craindre" quand "l'eugénisme s'installe dans la loi".
Sans être fondamentalement opposé à toute forme de dépistage prénatal, il aimerait que, dans ce domaine, "la société assume son rôle", que les mots retrouvent leur sens et que l'on ose qualifier d'"eugénistes" la pratique du "diagnostic préimplantatoire" ou celle de "l'interruption médicale de grossesse". Il revendique, enfin, un véritable et nouveau "droit à la différence" qu'il exprime dans un étonnant "éloge de l'impureté génétique".
GÉNÉTIQUEMENT INCORRECT de Nicolas Journet. Ed. Danger public, 256 pages, 16,90 €.
Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 06.12.07