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Vers des tests pré-conceptionnels
Un à deux couples sur cent sont à risque d’avoir un enfant atteint d’une maladie génétique. Une quinzaine de firmes proposent des dépistages élargis, mais ils ne sont pas encore autorisés en France.
LE MONDE | 25.09.2018 à 12h05 • Mis à jour le 25.09.2018 à 12h06 | Par Sandrine Cabut
Identifier les porteurs sains de maladies génétiques et les couples à risque de les transmettre à leur descendance. Le principe des dépistages préconceptionnels n’est pas nouveau, mais le sujet prend aujourd’hui une nouvelle dimension avec la possibilité de tester des centaines d’affections en même temps, pour un coût de quelques centaines d’euros, grâce au séquençage à haut débit. Sont concernées les maladies génétiques dites autosomiques récessives (c’est-à-dire qui ne s’expriment que si les deux copies du gène sont mutées, le défaut génétique étant situé sur un chromosome non sexuel, ni X ni Y) et les maladies récessives liées à l’X.
Quand les deux futurs parents sont porteurs sains d’une mutation (hétérozygotes), ils ont un risque d’un sur quatre de donner naissance à un bébé malade. La probabilité est d’un sur deux d’avoir un enfant lui aussi porteur sain, et d’un sur quatre que celui-ci ne porte aucune des mutations parentales.
Mucoviscidose, drépanocytose, amyotrophie spinale… Plus de 1 300 maladies génétiques se transmettant sur le mode autosomique récessif sont recensées, de sévérité très variable. Globalement, un à deux couples sur cent est à risque d’avoir un enfant atteint par une de ces pathologies. Ce risque augmente en cas de consanguinité et, pour certaines affections, le niveau de risque varie selon l’origine géographique.
En menant des politiques très déterminées de dépistage de la thalassémie ou de la drépanocytose dans les couples, à partir des années 1970-1980, des pays comme la Grèce, l’Italie, Chypre et Cuba ont diminué drastiquement le nombre de personnes atteintes de ces maladies génétiques de l’hémoglobine. En Israël, le ministère de la santé a, lui, établi une liste de pathologies pour lesquelles il recommande des tests génétiques dans la population, selon l’origine géographique. La maladie de Tay-Sachs, une neurodégénérescence très sévère, a ainsi quasiment disparu chez les juifs ashkénazes.
Des centaines de mutations
Avec l’avènement de tests pouvant détecter des centaines de mutations à un coût abordable, la question se pose désormais d’un dépistage préconceptionnel élargi. Déjà développé dans des pays comme les Etats-Unis, il est pour l’instant interdit en France. Jusqu’ici, dans notre pays, seul un dépistage centré sur les individus et sur les maladies monogéniques est autorisé, pour les personnes jugées à risque.
Mais l’Hôpital américain de Paris, déjà en pointe dans le domaine du diagnostic prénatal, est dans les starting-blocks. Dans cet établissement, dont une partie de la patientèle est étrangère, il y a déjà une demande, assure le docteur Géraldine Viot, généticienne dans l’unité de diagnostic prénatal. Et pour cette spécialiste, elle est potentiellement justifiée. « Parmi les 1 300 maladies autosomiques récessives, environ cent sont très sévères, s’associant à un déficit intellectuel et engagent le pronostic vital, précise-t-elle. Pour une femme de moins de 30 ans, le risque d’avoir un enfant atteint d’une de ces affections est supérieur à celui d’une trisomie. Est-ce légitime d’attendre d’avoir un premier cas dans une famille pour prévenir les risques ? »
Pour se faire une idée de l’acceptabilité des tests préconceptionnels, l’équipe de l’unité de diagnostic prénatal de l’Hôpital américain, dirigée par le docteur François Jacquemard, a d’abord mené une enquête par questionnaire anonyme auprès de 350 personnes en salle d’attente. « Parmi elles, 85 % s’y sont déclarées favorables pour elles-mêmes ; 10 % y ont vu une dérive eugéniste ; et seulement 3 %, soit 5 sur 350, ont jugé un tel dépistage inacceptable, souligne Géraldine Viot. Il s’agissait de cinq hommes, dont deux avaient déjà des enfants. Sur le plan religieux, quatre d’entre eux étaient non pratiquants. »
Les généticiens peuvent être amenés à proposer des tests préconceptionnels permettant de repérer les hétérozygoties pour 600 maladies, dans des contextes particuliers de consanguinité ou d’antécédents génétiques familiaux chargés. En attendant la révision des lois de bioéthique, les familles souhaitant recourir à ce type de tests en l’absence d’antécédent particulier sont orientées vers les Etats-Unis, Israël ou l’Espagne. Aujourd’hui, une quinzaine de firmes proposent ces tests de « carrier screening », chacun avec sa propre liste de maladies, précise encore le docteur Viot.
Quelles affections faut-il rechercher en priorité, doit-on se limiter aux variants les plus fréquents ou traquer toutes les mutations, devrait-on inclure les susceptibilités à des cancers familiaux, est-il plus pertinent de tester les deux membres du couple en même temps ou successivement… ? Beaucoup de questions font encore débat parmi les spécialistes.
Dans son avis 129 concernant les lois bioéthiques, rendu public mardi 25 septembre, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) souhaite que « le diagnostic génétique préconceptionnel puisse être proposé à toutes les personnes en âge de procréer qui le souhaitent après une consultation spécialisée (…). Acte médical de prévention, il serait pris en charge par l’Assurance-maladie ».
« Dès la renaissance, il y a la notion de bon sang ou de mauvais sang »
Pour Ilana Löwy, historienne des sciences, même si les radiographies par rayons X - le premier examen permettant de visualiser le fœtus - datent de la fin de XIXe siècle, la préoccupation à propos de l’enfant à naître est bien plus ancienne.
LE MONDE | 25.09.2018 à 12h04 • Mis à jour le 25.09.2018 à 12h06 | Propos recueillis par Sandrine Cabut
Biologiste de formation, historienne des sciences et féministe, Ilana Löwy est directrice de recherche émérite à l’Inserm. Elle a récemment publié deux ouvrages sur l’histoire du diagnostic prénatal : Imperfect Pregnancies. A History of Birth Defects and Prenatal Diagnosis (Johns Hopkins University Press, 2017, non traduit) et Tangled Diagnoses. Prenatal Testing, Women and Risk (University of Chicago Press, 2018, non traduit).
- A quand remontent les débuts du diagnostic prénatal ?
Les radiographies par rayons X ont été le premier examen permettant de visualiser le foetus. Elles ont été pratiquées de la fin du XIXe siècle aux années 1950, jusqu’à ce que l’on découvre que c’était dangereux pour le futur bébé. Le but était surtout de vérifier le bassin de la femme, en prévision de l’accouchement, mais cette technique a pu mettre en évidence des hydrocéphalies (excès de liquide céphalorachidien), qui étaient une indication de césarienne ; des anencéphalies (absence d’encéphale) ou encore des malformations osseuses majeures.
La préoccupation à propos de l’enfant à naître est cependant bien plus ancienne, d’où le souhait, dès la Renaissance, de se marier dans une bonne famille. Chez les nobles, on regardait l’hérédité de titre, d’argent mais aussi de sang, en recherchant dans l’arbre généalogique l’existence d’enfants déficients ou avec une tare. Il y avait la notion de bon sang ou de mauvais sang. Ainsi, la syphilis du nouveau-né, perçue au XIXe siècle comme une maladie héréditaire, a été nommée « mauvais sang ». Cette notion de pedigree était une forme d’eugénisme avant l’heure. Par ailleurs, à la Renaissance, les autopsies étaient souvent réalisées par des sages-femmes chez des femmes mortes en couches, pour en déterminer la cause, une malformation de l’utérus soupçonnée d’être héréditaire par exemple.
- L’amniocentèse est aussi une pratique ancienne…
Effectivement, les gynécologues ont commencé à ponctionner du liquide amniotique avec des seringues au début du XXe siècle, dans les cas d’hydramnios, un excès de liquide amniotique souvent associé au diabète. Puis d’autres indications se sont développées. D’abord, au début des années 1950, pour détecter les incompatibilités rhésus, qui étaient alors l’une des causes les plus fréquentes de retard cognitif. La couleur jaune du liquide amniotique, mesurée au spectrophotomètre, était un indice d’hémolyse sévère chez le fœtus, induite par les anticorps maternels. Pour sauver le bébé, les médecins provoquaient alors l’accouchement, puis changeaient complètement son sang (exsanguinotransfusion) à la naissance. Cela a permis de beaucoup diminuer la mortalité et la morbidité des incompatibilités rhésus.
Toujours dans les années 1950, en s’appuyant sur la possibilité de colorer les chromosomes et sur les travaux du Canadien Murray Barr, qui avait mis en évidence un marqueur dans le chromosome X – le corpuscule de Barr –, des groupes de recherche ont commencé à faire des diagnostics de sexe sur les cellules du liquide amniotique pour les maladies liées à l’X comme l’hémophilie.
Au Danemark, où l’avortement « eugénique » est devenu légal en 1956, des femmes porteuses d’hémophilie ont ainsi pu choisir l’avortement, sachant qu’elles portaient un bébé mâle. Progressivement, les amniocentèses se sont faites sous contrôle échographique, diminuant le risque d’accident, et ont permis des diagnostics d’anomalies chromosomiques (dont la trisomie 21) et d’affections métaboliques héréditaires, comme le Tay-Sachs, des maladies lysosomales.
- Qu’en est-il des méthodes non invasives comme l’échographie, les marqueurs sériques… ?
Les échographies obstétricales ont été développées par un médecin de Glasgow, Ian Donald, et son équipe à partir des années 1950. Au départ, ces examens ne permettaient guère de voir que quelques pathologies (comme l’hydramnios, un début d’avortement spontané) et des grossesses gémellaires. Grâce à des innovations techniques, l’échographie est devenue plus performante, en particulier depuis les années 1970, et c’est désormais un examen qui permet de faire des diagnostics fins, même si sa fiabilité n’est pas totale.
Les marqueurs biochimiques sont arrivés aussi dans cette décennie 1970, à commencer par l’AFP, l’alphafoetoprotéine, dont un taux élevé fait craindre une anomalie de fermeture du tube neural. Elle a d’abord été mesurée dans le liquide amniotique, puis dans le sang. Les Anglais, confrontés à un nombre élevé de ces malformations, ont été parmi les premiers à doser l’alphafoetoprotéine chez les femmes enceintes.
Mais ce qui a surtout permis la mise en place de dispositifs de diagnostic prénatal, c’est la conjonction de ces techniques médicales et de la libéralisation de l’avortement. A partir des années 1970-1980, le diagnostic prénatal a pu devenir routinier, d’abord pour les femmes à risques – surtout de maladies héréditaires et, pour les femmes de plus de 35 ans, de trisomie 21 – puis pour toutes les femmes enceintes.