Un «chef d’orchestre» pour coordonner la recherche sur l’autisme
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L’AUTISME et les troubles du neuro-développement (TND), qui regroupent l’ensemble des difficultés liées aux fonctions cérébrales (motrice, langagière, cognitive, structuration psychique, comportement, etc.), concernent environ 40 000 naissances par an en France. Parce que leurs causes sont encore trop mal connues, le gouvernement s’est engagé en 2018 à réorganiser la stratégie de recherche. Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, et Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, présentent les objectifs du Groupement d’intérêt scientifique mis sur pied le 1er octobre dernier.
LE FIGARO.- Vous mettez en place un Groupement d’intérêt scientifique (GIS) sur l’autisme… En quoi cela va-t-il consister ?
Sophie CLUZEL. - Le GIS est une sorte de chef d’orchestre. Il aura la responsabilité de fixer les grands axes de la politique de recherche, et ce en balayant toute la vie de la personne : durant la période prénatale, la petite enfance, l’adolescence et le troisième âge. Cette intervention sur l’ensemble du parcours était très attendue par les familles. Il favorisera les projets interdisciplinaires. Autre élément important, la création, avec un financement dédié, de la première cohorte d’ampleur en France sur l’autisme qui permettra de suivre des milliers d’enfants pendant cinq ans.
Frédérique VIDAL. - C’est une mise en réseau des acteurs de la recherche travaillant tous dans le domaine des troubles du neuro-développement, mais issus de champs disciplinaires variés. Des laboratoires universitaires et des institutions, comme l’Inserm ou le CNRS, ainsi que des acteurs du soin, comme les centres ressources autisme, y sont ainsi associés. À la tête du GIS, le comité scientifique est composé de médecins mais aussi de représentants des associations et des familles. L’enjeu est de rapprocher la recherche fondamentale sur les causes de ces pathologies, des recherches plus appliquées sur le repérage, le diagnostic, la prise en charge ou encore l’accompagnement de l’entourage. Nous avons retenu trois centres d’excellence (Tours, Montpellier et Paris) et dix postes de chefs de clinique. De plus, un appel à projets doit être lancé en 2020 pour deux centres d’excellence supplémentaires.
Qu’attendez-vous d’autre de cette collaboration ?
S. C. - Le GIS aura pour mission de diffuser les informations, de vulgariser les connaissances scientifiques, et ainsi d’amener la recherche vers les familles. En espérant que cela fasse taire toutes les fausses idées qui circulent sur les causes de l’autisme, comme la culpabilité des mères, les écrans ou même les régimes alimentaires… Ces rumeurs viennent perturber les familles et sont une source de souffrance. Elles peuvent être à l’origine de pratiques maltraitantes. L’objectif est de générer un regard différent sur les personnes avec autisme.
F. V. - Le GIS aura également pour mission de repérer toute avancée scientifique qui pourrait être utilisée pour une meilleure compréhension de l’autisme, notamment en effectuant une veille sur l’ensemble de la littérature scientifique. Des recherches sur le cerveau peuvent en effet être exploitées aussi bien pour les maladies du vieillissement que pour les troubles rencontrés dans la petite enfance, l’enfance ou l’adolescence. Les travaux d’équipes sur le sommeil ou sur la résistance à la douleur peuvent servir aux enfants autistes, qui sont particulièrement concernés par ces problématiques.
Quelles pistes de recherche ont été retenues comme prioritaires ?
S. C. - Elles sont nombreuses. D’une part, des travaux sur la génétique ou l’imagerie cérébrale pour tenter de comprendre les causes et mécanismes des troubles du développement. D’autre part, des recherches sur le sommeil, les troubles sensoriels ou la perception de la douleur, visant à changer le quotidien des personnes en situation de trouble neuro-développemental. Personnellement, j’attends beaucoup des expérimentations sur les outils de communication alternatifs conçus pour accompagner les enfants et adultes les plus éloignés du langage. Il y a là une vraie demande des familles.
F. V. - J’aimerais mettre en avant l’importance des travaux sur le développement du cerveau pendant la période périnatale. Qu’est-ce qui va avoir un impact à ce moment crucial ? Il reste encore énormément de choses à comprendre. Plus on remontera haut, si j’ose dire, dans les causes physiologiques, plus on sera capable d’avoir des traitements et des thérapies efficaces et pertinentes.
Les scientifiques critiquent le financement de la recherche sur l’autisme en France, qu’ils jugent « dérisoire », notamment en comparaison du Canada ou des États-Unis. Comment sera doté le Groupement d’intérêt scientifique ?
F. V. - Le budget dans le cadre de la stratégie nationale est de 14 millions d’euros. Tout l’intérêt d’un groupement de ce type est d’entraîner un effet de synergie, car chaque laboratoire et centre de recherche a son propre budget. On le voit cette année avec les financements supplémentaires sur ces sujets dans le cadre des appels à projets de l’Agence nationale de recherche. Concernant le Canada, je rappelle que le financement d’un projet inclut l’ensemble des salaires des étudiants, du postdoc, des cliniciens, etc. Comparons ce qui est comparable ! Néanmoins, il est vrai que nous devons davantage financer la recherche en France. C’est tout l’objet de la loi de programmation qui sera présentée au Parlement en 2020.
S. C. - Le Groupement d’intérêt scientifique peut percevoir des fonds publics et privés. Tout l’intérêt aussi de cette structure juridique est d’avoir la taille suffisante pour solliciter les financements européens, voire internationaux. C’est donc un vrai levier d’action pour dynamiser notre recherche en France.
Concernant la formation universitaire, la page de la psychanalyse, dont les théories sur l’autisme sont désormais totalement remises en cause, est-elle tournée ?
S. C. - Nous avons engagé un travail sur la qualité des formations, notamment les diplômes universitaires ou interuniversitaires dans le champ de l’autisme et des troubles neuro-développementaux pour améliorer les contenus et favoriser le respect des bonnes pratiques. Nous renforçons ainsi l’adéquation de ces formations avec les objectifs de transformation et d’amélioration de l’accompagnement des personnes.
F. V. - Autre changement majeur de paradigme, nous souhaitons une université inclusive : pendant longtemps, on a eu une offre de formation dans laquelle tout le monde devait rentrer. Aujourd’hui, l’humain est à nouveau au centre. On considère désormais que la formation doit être construite pour les étudiants, avec leurs spécificités. Par exemple, nous soutenons le projet « Aspie friendly », en lien avec les missions handicap des universités, pour faciliter l’accueil et l’accompagnement des étudiants autistes. Il s’agit de proposer des programmes pensés spécifiquement pour leurs besoins. Une vingtaine d’universités proposent ce cursus diplômant.