« À quels principes doit souscrire l'intervention précoce aux enfants autistes » Dr Laurent Mottron.
Dans le cadre des Relais scientifiques de l'Hôpital Rivière-des-Prairies, le Dr Laurent Mottron, psychiatre, a donné une conférence le mardi 15 mai 2012, sur le thème : «
À quels principes doit souscrire l'intervention précoce aux enfants autistes ». La Fédération y a assisté et vous propose dans cette édition d’en faire un résumé, que nous tenterons de rendre aussi fidèle que possible.
La conférence a débuté par une présentation du contexte global dans lequel s’inscrivent ses recherches. Selon le Dr Mottron, au Québec, il existe un cloisonnement entre les centres de réadaptation qui s’occupent de l’intervention d’acquisition (intervention comportementale) et les hôpitaux qui s’occupent de l’intervention en période de crise. Or, pour lui, il ne peut y avoir de gestion de crise efficace sans intervention d’acquisition. Il a également déploré qu’il n’y ait pas au Québec de lieu d’expertise dédié à l’analyse des méthodes comportementales actuellement prescrites. Pour lui, il est nécessaire de questionner les méthodes aujourd’hui utilisées, et c’est d’ailleurs l’objet de cette conférence.
Un à un, les grands principes de l’intervention comportementale qui sont aujourd’hui unanimement acceptés à l’échelle internationale vont être questionnés et quelque peu ébranlés. En utilisant cette méthodologie de recherche, le Dr Mottron a pour objectif d’aboutir à « proposer des techniques inventives et alternatives » se basant sur des observations cliniques, des recherches scientifiques et des témoignages.
L’intervention structurée
Par essence, les interventions comportementales reposent sur le principe de structuration de l’environnement pour éviter tout élément inattendu générant de l’anxiété. Pour créer cette structure, il faut la répétition d’une situation et une similitude dans ces répétitions. Or, selon le Dr Mottron, plus on est précis dans la structuration du pattern, moins on laisse de place à une adaptation du comportement en fonction de la situation. Un cadre structuré à l’extrême, présenté comme modèle à la personne autiste, pourrait alors générer de l’anxiété devant une situation qui n’est pas tout à fait similaire à celle répétée. Ceci renforcerait également la précision des personnes dans leur façon d’observer le monde. Selon le Dr Mottron, il serait intéressant d’envisager l’apprentissage de patterns récurrents avec des variations, c'est-à-dire des cadres plus larges et évolutifs.
Des outils visuellement présentés
S’appuyant sur une recherche d’A. Klin, étudiant le mouvement des yeux d’enfants autistes mis en contexte d’interaction visuelle et auditive, il remet en question l’utilisation systématique de support visuel dans l’apprentissage des patterns. Pour lui, l’ingrédient actif n’est peut-être pas seulement visuel mais davantage multi-modal. Or, les interventions comportementales actuelles réduisent leur champ d’action au seul canal visuel, certainement parce qu’il est plus facile pour les intervenants de représenter un pattern de façon visuelle.
L’intervention intensive
Ce principe part de l’idée que si l’on stoppe ou l’on diminue l’apprentissage du pattern, les mauvaises habitudes reviennent. Or, avant de poser ce constat, il serait intéressant d’étudier les effets du temps libre sur les personnes autistes. Le Dr Mottron présuppose ici que si ce temps libre est aménagé, il est possible qu’il puisse être bénéfique aux personnes autistes, au même titre qu’il l’est pour les personnes neurotypiques.
De plus, deux recherches qu’il a menées en collaboration arrivent à la conclusion qu’à intelligence égale, les autistes emmagasineraient plus facilement l’information que les neurotypiques et ils seraient également plus rapides à comprendre les patterns, même dans le bruit. D’où l’intérêt de questionner le caractère intensif des interventions.
Une méthode fragmentée
En prenant l’exemple des calculs de calendrier que peuvent réaliser certaines personnes autistes sans guidance extérieure en assimilant les règles qui régis-sent le défilement des jours, des mois, des années d’un calendrier, le Dr Mottron remet en question l’apprentissage systématique par décomposition des tâches. Il pense en effet que la détection d’une structure complexe et des relations entre ses éléments implique sa présentation non décomposée.
L’intervention précoce
Selon le Dr Mottron, ce qui pose un problème dans le fait systématique de réaliser des interventions précoces auprès des enfants autistes, c’est qu’on ne tient pas compte de leur propre maturation physiologique et cognitive. Chaque enfant peut avoir des stades de maturation qui différent des autres.
Son raisonnement a été illustré par une étude menée par Karen Pierce et al. qui montre par exemple que les enfants autistes sont naturellement plus attirés par les formes géométriques que par les visages d’autres enfants, ce qui n’est pas le cas des enfants neurotypiques. C’est pourquoi les interventions ne devaient pas se baser sur une norme de développe-ment neurotypique.
Un comportement renforcé
S’appuyant sur une autre étude menée par S.B.Gaigg et D.M. Bowler sur le traitement par les personnes autistes des mots porteurs d’une signification émotionnelle, le Dr Mottron remet en cause les renforçateurs utilisés dans les interventions comportementales. Selon lui, chez la personne autiste, il ne se produit pas le transfert émotionnel du renforçateur vers l’apprentissage du pattern, mais la récompense devient la dernière étape du pattern lui-même.
Une intervention adaptée
Selon le Dr Mottron, les méthodes comportementales définissent des priorités d’apprentissage en se référant à une norme neurotypique. Elles ne seraient donc pas adaptées. Selon lui, cela empêche les personnes autistes de développer leurs propres forces et leur propre comportement.
Le modèle cité en exemple ici est celui de la langue des signes qui permet de donner un canal à l’enfant pour qu’il puisse s’exprimer, mais qui le laisse libre de communiquer à l’intérieur de ce canal.
Une intervention imposée
Pour le Dr Mottron, il est grand temps d’instaurer un questionnement éthique sur les interventions comportementales qui participent au renforcement d’une seule norme neurologique et développementale, celle des neurotypiques.
Selon lui, il devient nécessaire de questionner la légitimité du rapport de force qui intervient entre le groupe dominant et les personnes autistes, sous-entendant le principe de la neuro-diversité.
Une intervention professionnalisée
Souvent les thérapies comportementales offrent une intervention un pour un, qui est très coûteuse. Pour le Dr Mottron, certaines interventions, notamment tout le volet de la formation et de l’information aux parents, pourraient être collectivisées. Par ailleurs, il se prononce pour l’intégration des enfants autistes en garderie, dès le plus jeune âge.
Conclusion
Le Dr Mottron réitère la nécessité de repenser les interventions précoces aux enfants autistes en développant des canaux de communication appropriés à leur besoin et qui leur laissent suffisamment de liberté pour leur épanouissement.
Ces interventions devraient avoir pour but de « viser la disparition de l’anxiété sociale plutôt que les acquis mimant l’interaction socio-communicative typique ». Il s’agit de ce qu’il nomme l’acquisition de la « tolérance sociale » par opposition à la « compétence sociale », actuellement en vigueur.
Selon lui, cela devrait passer, entre autres, par l’intégration des plus jeunes enfants autistes en milieu régulier de type garderie, la collectivisation de certains services, l’augmentation des ressources pour les services de gestion de crise et pour les familles dans le besoin, la meilleure répartition des aides pour ne pas oublier les besoins en éducation, en emploi et en logement des adolescents et des adultes.
> Julie Croizille
INFO-MEMBRES - Vol 12 - No 2 Juin 2012 - pp.9/10 Fédération Québécoise de l'autisme