Antidépresseurs in utero et autisme : attention aux effets d’annonce !
Aude Lecrubier|22 décembre 2015 - Medscape
Canada, France-- D’après une étude qui a fait beaucoup de bruit…l’exposition aux antidépresseurs pendant les deuxième et troisième trimestres de la grossesse serait associée à une augmentation de 87% du risque de développer des troubles du spectre autistique chez les enfants [1].
Un résultat qui semble, à première vue, très impressionnant mais qui demande à être relativiser en raison du risque absolu qui reste faible et des nombreux biais de cette étude de registres, selon le Dr Elisabeth Elefant (responsable du Centre de Référence sur les Agents Tératogènes (CRAT), hôpital Trousseau, Paris).
Interrogée par Medscape France, la pédiatre pharmacologue nous explique ce que l’on peut réellement tirer de cette étude.
- Rappel de l’étude
A partir des grossesses répertoriées dans la Province de Québec entre janvier 1998 et décembre 2009, le Pr Anick Bérard et coll. (Université de Montréal, Canada) ont analysé les risques d’autisme chez les enfants nés vivants en fonction ou non d’une éventuelle exposition in-utero aux antidépresseurs (selon les données de remboursement de l’assurance maladie du Québec).
Parmi les 145 456 enfants issus de grossesses simples inclus dans l’étude, un diagnostic de trouble du spectre autistique a été posé pour 0,72 pourcent d’entre eux. Or, ce taux montait à 1,2% lorsque les femmes avaient reçu des prescriptions d’antidépresseurs pendant les trimestres 2 et 3 de leur grossesse, soit une augmentation du risque relatif de 87% (RR=2,17 avec les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine). En revanche, aucune association n’a été observée lorsque les prescriptions concernaient le premier trimestre de grossesse et l’année précédant la conception.
Les résultats sont publiés sur le site du JAMA Pediatrics.
Medscape : Pourquoi cette multiplication des études sur l’autisme ?
Elisabeth Elefant : Depuis quelques années, nous avons constaté que l’autisme augmentait dans certains pays. Dans les pays scandinaves, par exemple, on estime que 5 enfants sur 1000 (5/1000) étaient autistes en 1980 versus un enfant sur 88 (1/88) en 2008. Cette progression importante est le résultat d’une augmentation réelle de l’incidence de la maladie et de l’élargissement de la définition de l’autisme au fil du temps. Nous ne parlons d’ailleurs plus d’autisme mais de troubles du spectre autistique. Les causes potentielles de cette croissance sont recherchées de façon très active. Toutes les pistes sont étudiées : génétiques, épigénétiques, environnementales, post-natales, prénatales... En toute logique, tout ce qui est relatif au prénatal et qui concerne la mise en place du cerveau des enfants est questionné.
Pourquoi s’intéresser aux antidépresseurs en particulier ?
E. E. : Parmi les médicaments qui sont prescrits de façon chronique chez les femmes enceintes, il y a les antidépresseurs. Or, leur prescription pendant la grossesse à augmenté en parallèle de l’incidence des troubles du spectre autistique. Aux Etats-Unis, entre 1 et 6 % des femmes étaient traitées par antidépresseurs dans les années 1990 et actuellement ce seuil se situe entre 7 et 13%. Chez les scandinaves le nombre de femmes enceintes traitées par antidépresseurs aurait quadruplé, voire quintuplé entre 1996 et 2005. En France, compte tenu de la prescription très importante de psychotropes, il semble évident que les femmes enceintes reçoivent aussi des antidépresseurs.
Face à ce double accroissement, le lien est vite fait. Pourtant, qui dit association statistique ne dit pas forcément qu’il y a une relation de cause à effet.
Cette étude constate une augmentation de 87% du risque d’autisme sur une cohorte impressionnante, faut-il revoir l’utilisation des antidépresseurs chez les femmes enceintes ?
Une augmentation de cette amplitude dans une étude de population ne justifie pas d’être aussi affirmatif sur le lien de causalité.
E. E. : Dans cette étude, l’incidence des troubles du spectre autistique est de 0,72 % dans la population contrôle et d’1,2 % pour les enfants exposés aux antidépresseurs pendant les deuxième et troisième trimestres de la grossesse. Cela constitue, en effet, un accroissement de 87%. Néanmoins, l’idée est qu’à titre individuel, on reste autour d’un pour cent (1%). Le risque est quasiment le même qu’une femme qui souffre de dépression prenne ou non un traitement antidépresseur.
Peut-on, néanmoins, avec ces résultats, affirmer qu’il existe un lien entre l’exposition in-utero aux antidépresseurs et les troubles du spectre autistique ?
E. E. : Je suis prudente sur toutes les prescriptions au long cours sur le cerveau des enfants mais une augmentation de cette amplitude dans une étude de population ne justifie pas d’être aussi affirmatif sur le lien de causalité entre l’exposition in utero aux antidépresseurs et le risque de développer un trouble du spectre autistique.
Il n’y a pas « la bonne méthode » pour détecter ou écarter un risque de cette nature. Il existe plusieurs approches méthodologiques et ce sont les résultats convergents de ces différentes approches qui donnent un niveau de preuves suffisant.
Les données d’Anick Bérard et coll. peuvent être qualifiées de solides mais le problème vient de leur analyse et de leur interprétation
Cette seule étude ne suffit pas pour affirmer un risque. Et, ce d’autant que cette étude a plusieurs biais méthodologiques. Les données d’Anick Bérard et coll. peuvent être qualifiées de solides mais le problème vient de leur analyse et de leur interprétation.
Quelles sont les principales limites de l’étude ?
E. E. : Il y en a plusieurs. L’une d’entre elle est que cette étude s’appuie sur les fichiers de remboursement des prescriptions d’antidépresseurs ce qui ne signifie pas que les femmes ont réellement pris ces médicaments.
Aussi, un certain nombre de facteurs que l’on connait pour être impliqués dans l’apparition de l’autisme n’ont pas été évalués : la césarienne (même si on ne sait pas pourquoi), l’augmentation de l’indice de masse corporel de la mère (IMC), les antécédents familiaux psychiatriques du père et de la fratrie, l’âge du père… Les auteurs d’ailleurs soulignent eux-mêmes que cet élément psychiatrique familial est réel dans leur effectif, mais qu’il n’a pas été mesuré car la puissance statistique n’est plus suffisante une fois la stratification faite sur ce critère…
En outre, nous n’avons pas d’indicateurs sur les prises concomitantes de substances de type alcool, tabac ou autres médicaments qui sont elles aussi des facteurs confondants.
Enfin, une autre limite majeure est mentionnée dans l’analyse de sensibilité de l’étude. Lorsque les enfants exposés aux antidépresseurs in-utero et déclarés autistes à un moment de leur vie ont été réévalués par un neuropsychiatre ou un pédopsychiatre, l’augmentation du risque n’était plus statistiquement significative car le nombre d’enfants considérés comme atteints de troubles du spectre autistique était trop faible.
Ce que l’on peut dire à partir de cette étude, c’est que l’on a une alerte sur les croisements de fichiers. C’est tout.
Lorsque l’on travaille sur des registres, comme c’est le cas dans cette étude, il y a des erreurs de codage. Il faut donc que des spécialistes authentifient la pathologie, en voyant les enfants et en utilisant des critères diagnostiques harmonisés.
Ce que l’on peut dire à partir de cette étude, c’est que l’on a une alerte sur les croisements de fichiers. C’est tout.
Par quel mécanisme physiopathologique pourrait-on expliquer le lien entre antidépresseurs et autisme ?
E. E. : Le primum movens est qu’une concentration anormale de sérotonine a été observée dans les plaquettes des enfants autistes. Est-ce la conséquence de perturbations génétiques, épigénétiques, biologiques, environnementales, de l’exposition in utero aux médicaments, C’est ce qui est recherché.
D’autres études ont tenté d’évaluer l’éventuelle association entre l’exposition aux antidépresseurs pendant la grossesse et le risque de développer un trouble du spectre autistique. Vont-elles dans le même sens que celle-ci ?
E. E. : Cette étude n’est, en effet pas la première sur le sujet. Certaines ont montré des résultats similaires mais d’autres ont montré des résultats qui vont dans le sens inverse. Il faut donc rester prudents dans l’interprétation des données et faire attention aux biais de publication.
Vous appelez donc à la prudence…
E. E. : Oui. Il faut être prudent lorsque l’on publie de tels résultats. La dépression est une maladie et certaines de ces femmes ont vraiment besoin de prendre des médicaments pour se soigner.
Aussi, l’absence de traitement d’une dépression caractérisée chez une femme enceinte peut, par elle-même, avoir un impact sur la grossesse (prématurité, petit poids de naissance, problèmes d’interaction mère-enfant, hypertension artérielle…).
En outre, on ne connait pas encore les effets à long terme de la dépression maternelle non-soignée chez les enfants mais cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas.
Enfin, il faut penser que, suite à cette étude, les femmes qui ont mis au monde des enfants alors qu’elles ont pris des antidépresseurs pendant leur grossesse vont être très angoissées par le suivi de leur enfant (les pères aussi d’ailleurs). Pourtant, ces données ne permettent pas de prouver qu’il existe un lien de causalité.
Le Dr Elisabeth Elefant n’a pas de liens d’intérêts en rapport avec le sujet.
REFERENCE : Bérard A et coll.
Antidepressant Use During Pregnancy and the Risk of Autism Spectrum Disorder in Children, décembre 2015, JAMA Pediatrics. 10.1001/jamapediatrics.2015.3356
Citer cet article: Aude Lecrubier. Antidépresseurs in utero et autisme : attention aux effets d’annonce !. Medscape. 22 déc 2015.