J'ai lu
Dans le château de Barbe Bleue et
De la Bible à Kafka de Steiner et il m'avait marqué avec ce qu'il appelait "crise du signifiant" ou "crise du sens". Il me semble que
Nostalgie de l'absolu (que je n'ai pas lu, mais dont j'ai lu le compte rendu à partir du lien que tu m'as donné) pourrait partir des mêmes bases que les deux autres ouvrages. Le regret, la nostalgie d'une époque où le sens "allait de soi", où il y avait une forme de "garance" à notre perception du réel. L'idée telle que je la comprends, serait qu'à la place de ce garant disparu qui aurait laissé un vide et rendu impossible un sens "absolu", on aurait essayé de mettre des idéologies fonctionnant comme des religions et qui relaveraient plus du mythe que d'autre chose.
Toutefois, cette idée de crise du signifiant et de la volonté de voir un garant partout où c'est possible est déjà évoquée plusieurs décennies avant par Freud (
L'Avenir d'une illusion en 1927, l'idée des "super-pères" peut-être aussi évoquée) et par Lacan (qui parle plutôt d'absence de Père - au sens large et psychanalytique dont le Dieu monothéiste serait le plus haut degré - et de la volonté d'y mettre autre chose à la place, quoi que ce soit - potentiellement, sa propre discipline même, en s'érigeant lui-même en tant qu'espèce de guide/gourou).
Il me semble que la psychanalyse pourrait être une discipline ayant mis en lumière les mécanismes des religions (conception du monde, conception de soi, rapport au langage, etc.) et se les serait appliqués à elle-même en proposant sa propre lecture du "réel" - d'où un certain intérêt qu'on pourrait lui porter mais d'où une absence d'aspect scientifique (à ce titre, la notion de transfert est ici assez intéressante)
Il me semble que -pour faire un raccourci - c'est comme s'ils avaient très bien compris les fonctionnement religieux, avaient décrété que l'humain en avait besoin, et s'étaient attelés à remplacer le manque eux-mêmes - et à ce titre, Steiner en fait, assez justement il semble, un mythe (les textes psychanalytiques deviennent parole d'évangile, donnent une structure au réel et Freud et Lacan deviennent les nouveaux dieux).
Je comprend beaucoup mieux maintenant en quoi - dans la pratique - on peut parler d'inquisition psychanalytique. D'ailleurs, j'aimerais faire une distinction entre les textes et la pratique : je prends plaisir à lire les évangiles, je n'y crois pas mais j'y trouve des choses intéressantes, je ne cautionne pas les massacres faits en leur nom. Pour la psychanalyse : je prends plaisir à lire certains textes de psychanalyse, je n'y crois pas mais y trouve des choses intéressantes, je ne cautionne pas leur application.
Ce qui est drôle c'est qu'on pourrait reformuler (pour faire une plaisanterie) ton message comme ça : "finalement, la psychanalyse, ça fait partie de ta passion pour les religions et mythologies !" Et je réalise que c'est fort possible tant les points communs peuvent être nombreux.
Pour le rapport à la philosophie, il me semble que celle-ci n'a pas toujours eu cette rigueur - j'étais plongé dans les
Dialogues sur les deux grands systèmes du monde de Galilée où l'on voit la physique sortir du champ des philosophes pour entrer dans le champ de la science ; ça se matérialise par un copernicien qui dialogue avec un aristotélicien devant un témoin profane (d'où une exigence de clarté), et la conception aristotélicienne n'est pas rigoureuse. Un des premiers points : l'explication de l'existence des trois dimensions. Pour Aristote : chaque chose a un début, un milieu et une fin, donc trois est le chiffre parfait, donc il y a trois dimension. Pour le Copernicien, il faut avoir recours à la géométrie dans l'espace et à la façon dont on peut remplir un espace de droites (il prend l'arrête d'une salle qui serait cubique par exemple) pour le démontrer, schéma à l'appui.
Enfin, pour ce qu'on appelle mythologie, il y a plusieurs éléments de réponse à apporter :
- Pour Jolles, ça correspondrait à une forme simple à la racine de plusieurs schéma d'idées qui prennent des formes différentes (ex : d'une forme simple qui serait le besoin d'un guide, on trouve des panthéons de dieux, on trouve le Dieu dit unique, on trouve le culte de personnalité ou une personne réelle et mythique coexistent - Staline l'homme, n'est pas égal à ce qu'on en a fait, de comment on l'a mythifié - on y trouve aussi éventuellement certains chefs de fils de mouvements tels que ceux dont parle Steiner)
- Pour Jean-Louis Backès (helléniste) le mythe implique forcément récit (mythe vient du grec raconter), surnaturel et cadre avec des noms propres (des dieux, des personnages, des lieux, etc.), il implique également une chose dans laquelle, à un moment, on a cru.
- Pour Rougemont, il me semble qu'il s'agisse de dégager des structures communes, une architecture commune, un dénominateur commun, qui donnerait différentes possibilités (très proche des formes simples finalement)
- Brunel qui retrace l'évolution du terme "mythe" dans
Mythocritique ne peut que constater la difficulté d'une définition car le mythe relève du mécanisme qui crée le langage (il me semble qu'il cite la phrase suivante : "Le mythe est le rien qui est tout" de Pessoa).
En effet, le mythe créerait des symboles et serait en cela à la base du langage même, le signifiant étant le mythe du signifié : quand je te donne un nom, je crée une chose fictive qui nous permet d'avoir le même référent, et ce n'est que par ce moyen que nous avons accès à la "même chose" dans le cadre de nos perceptions respectives. Ce mécanisme permet donc à une collectivité d'être "d'accord" sur un sens (dans tous les sens du terme) commun. Le mythe serait donc inhérent au langage - peut-être pas au langage mathématique qui s'emploie à traduire un réel dégagé de nos simples perceptions.
Pour conclure, il me semble que mettre en regard les mythologies, les religions et la psychanalyse peut être très intéressant pour déceler et dégager des structures communes, simples et récurrentes des interprétations du réel chez les humain (comment il se voit, comment il voir les structures qui l'organisent, comme il explique ce à quoi il a accès du réel, etc.). A ce titre, peut-être l'étudiera-t-on un jour comme la mythologie grecque car cette croyance pourra nous en apprendre sur l'humain et sur l'époque où elle a eu cours. Donc si la psychanalyse (textes) relève de la mythologie, on peut quand même y trouver des choses intéressantes pour peu qu'on ne lui donne pas plus d'importance que ce qu'elle doit avoir. J'adore la mythologie grecque, je troue de l'intérêt à en lire les textes, mais je trouverais étrange qu'on croit en Zeus, mais pourquoi pas (chacun fait ce qu'il veut), tant qu'on ne m'impose pas cette croyance et qu'on ne me force pas à vivre selon la religion grecque et ce qu'imposerait ses dogmes - idem pour la psychanalyse*.
*d'ailleurs, c'est de ce qui vient après le "tant que" que viennent tous les problèmes il me semble ...