Article à paraître dans mon blog :
Autisme et nazisme : Elisabeth Roudinesco dans ses pompes et ses oeuvres
4 avr. 2019 Par Jean Vinçot
- Mediapart.fr
Dans le vénérable "Monde des Livres" du 29 mars 2019, la romancière de la psychanalyse, Elisabeth Roudinesco, fantasme fort. Cela commence par : "Avec « Les Enfants d’Asperger », l’historienne Edith Sheffer montre Hans Asperger en nazi et assassin d’enfants ..."
Dans le vénérable "Monde des Livres" du 29 mars 2019, la romancière de la psychanalyse, Elisabeth Roudinesco, fantasme fort. Cela commence par : "Avec « Les Enfants d’Asperger », l’historienne Edith Sheffer montre Hans Asperger en nazi et assassin d’enfants
Le psychiatre autrichien a imposé ses vues et son nom dans l’étude de l’autisme. Il fut pourtant un artisan majeur de la politique d’euthanasie des enfants dits « anormaux » mise en œuvre par les nazis en Autriche."
Extrait du registre du Spiegelgrund - où ne travaillait pas Asperger © Gedenkstaettesteinhof Extrait du registre du Spiegelgrund - où ne travaillait pas Asperger © Gedenkstaettesteinhof
Tout est faux.
- Hans Asperger n'était pas nazi, car fervent catholique, tout en étant nationaliste;
il n'a pas assassiné d'enfants;
sa recherche de 1944 ne porte que sur 4 enfants, et il n'en a plus fait ensuite : c'est Lorna Wing qui a proposé son nom au syndrome tel qu'elle l'a décrit,
il fut un artisan mineur de la politique d'"euthanasie" suivant Edith Sheffer.
Ce n'est pas le seul article "approximatif" sur le sujet. Si certains font référence à Herwig Czech, ils ne semblent pas donner l'impression d'avoir lu son article (en traduction). Ils n'ont pas lu non plus l'article de Dean Falk paru le 18 mars 2019.
Par exemple, Eric Favereau, de Libération [Le diagnostic fatal du Dr Asperger], épouvanté par les déclarations de Sophie Cluzel sur l'autisme et la psychiatrie, écrit : " Hans Asperger, par exemple, va soutenir explicitement les lois de stérilisation du IIIe Reich." Oui, apparemment, mais sans jamais la mettre en pratique, d'après H. Czech, E. Sheffer, D. Falk : facile à comprendre par rapport aux positions de l’Église catholique.
Et c'était pourtant une pratique très répandue dans le monde à cette époque. Le fond d’eugénisme du nazisme était largement partagé. Ainsi, en 1927, la Cour Suprême aux USA (affaire Buck contre Bell) a autorisé la stérilisation pour cause de « débilité », par 8 voix contre 1. Cette femme avait eu une fille qui était considérée comme débile à 6 mois, sur la seule foi de l’impression d’une assistante sociale.
Motifs : « Carrie Buck est une femme blanche faible d’esprit. C’est la fille d’une mère faible d’esprit vivant dans la même institution, et la mère d’un enfant faible d’esprit illégitime (…) [La stérilisation était nécessaire] pour que nous ne soyons pas submergés par l’inaptitude (…) Il vaut mieux pour tout le monde que, au lieu d’attendre de devoir exécuter des rejetons dégénérés pour leurs crimes, ou de les laisser mourir de faim pour cause d’idiotie, la société puisse empêcher les personnes manifestement inaptes de se reproduire. Le principe qui sous tend la vaccination obligatoire est assez large pour englober la ligature des trompes de Fallope (…) Trois générations d’imbéciles, çà suffit. »
Il y a eu au moins 60 000 personnes stérilisées. Trente États aux USA ont introduit la stérilisation forcée dans leur législation. Celle-ci reste en vigueur encore dans 20 Etats. [Source : Bill Bryson « L'été où tout arriva » pp.466-470]
Revenons à notre romancière : "Adepte de l’idéologie nazie, il se détourne de l’approche bleulérienne pour créer la catégorie de « psychopathie autistique », ce qui lui permet de différencier les « irrécupérables », envoyés au Spiegelgrund, et les « amendables », capables de Gemüt et dignes de survivre : une véritable hiérarchie mortifère." Il n'y a aucun doute sur le fait qu'Hans Asperger n'était pas adepte de l'idéologie nazie. C'est écrit en long, en large et en détail par les 3 auteurs. Ils décrivent aussi un de ses collègues (qui héberge un juif, au vu et au su d'Asperger), qui le met en garde contre une rédaction qui pourrait le compromettre dans son milieu, en laissant croire - à tort - qu'il approuve cette idéologie.
Je publierai bientôt la traduction du premier article (1938) d'Hans Asperger. Cela prend un peu de temps, parce que mes camarades autistes ne veulent pas se contenter de l'annexe en anglais (traduit de l'allemand) de l'article de Dean Falk, mais veulent vérifier à partir de l'original en allemand.
A noter que dans sa préface de 1944, Hans Asperger écrit : "Nous avons mentionné de façon répétée que l'autisme se produit à différents niveaux de capacité. La gamme englobe tous les niveaux de capacités, du génie très original, en passant par à l'excentrique bizarre qui vit dans un monde qui lui est propre et n'accomplit pas grand-chose, jusqu'à l'individu le plus sévèrement perturbé par les contacts, comme un automate, mentalement attardé. " Il reconnaît à ce moment la diversité du spectre, sans préconiser pour autant l’élimination d'une partie de celui-ci.
ER : "L’auteure décrit les atrocités commises au nom de cette sinistre doctrine : cures de soufre et de vomissement, torture, mise à mort par injection lét"ale. " Il y en a deux décrites : le packing et les injections ! Je reproduirai ces deux descriptions. Oubli volontaire.
ER : "Entre-temps, le psychiatre Leo Kanner (1894-1981), juif viennois émigré aux Etats-Unis en 1924, avait poursuivi les travaux de Bleuler en sortant l’autisme infantile précoce du domaine des psychoses." Là, c'est vraiment se moquer du monde. Kanner a recruté en 1938 le Dr Georg Frankl et la psychologue Anna Weiss, qui venaient du service d'Hans Asperger à Vienne. Ce sont eux qui ont examiné Donalf G. Triplett, le cas numéro 1 de Léo Kanner. Le livre d'Edith Sheffer explique que le comportement "autistique" était une caractéristique utilisé dans le service d'H. Asperger (sans doute plutôt sous l'impulsion de ce couple, mais repris publiquement à partir de 1938 par Hans Asperger).
ER : "Inconnu du public, Asperger revient alors sur la scène en republiant sa thèse de 1944, soigneusement dénazifiée. " Edith Sheffer montre qu'H. Asperger n'a pas été très actif sur le sujet, qu'il n'a fait aucune nouvelle recherche, qu'il s'est contenté d'écrire un chapitre de manuel, que les versions de ces différents travaux sont adaptés à l'air du temps, mais pas à ses convictions. C'est Lorna Wing et Uta Frith qui ont fait connaître son travail, en le dénazifiant effectivement (en ne traduisant pas la préface et le début).
ER :" Le « gentil docteur » reconduit ainsi, sous une autre forme, sa conception nazie de la « psychopathie autistique »." Pendant presque 30 ans, le syndrome d'Asperger a existé dans les classifications internationales (après la mort d'Hans Asperger), sous l'impulsion de Lorna Wing, sans qu'on puisse dire que c'est une conception nazie. Il a été abandonné dans le DSM 5 parce que sa fiabilité et sa pertinence dans le diagnostic et l'accompagnement n'étaient pas établies.
ER : "Lorna Wing invente le fameux « syndrome d’Asperger » pour définir un type d’autisme dit « de haut niveau », caractérisé par une absence d’altération du langage et une capacité inouïe de mémorisation." Piètre historienne. Un des trois critères (DSM IV - CIM 10) du syndrome d'Asperger est un trouble dans la communication orale. Par contre, il ne doit pas y avoir de retard de langage. Pour la mémorisation ? Il suffit d'avoir au moins 70 de QI. Aucune capacité de mémorisation particulière ne fait partie des critères.
ER : "C’est ainsi que des millions de personnes dans le monde, dites « autistes Asperger », arborent aujourd’hui fièrement ce nom pour se démarquer des « autistes de bas niveau » décrits par Kanner." Les Aspies veulent surtout se distinguer des neurotypiques ! Pourquoi dire que les personnes autistes décrites par Kanner sont de "bas niveau", autrement dit avec déficience intellectuelle. Sans entrer dans les discussions (entre 30 et 70% des personnes avec autisme typique ayant une déficience intellectuelle), il suffit de se reporter au cas n°1 de Léo Kanner pour voir que ce n'est pas un critère.
ER : "Au terme de cette magistrale enquête, Edith Sheffer se demande, à juste titre, s’il ne faudrait pas abandonner cet effrayant « syndrome d’Asperger », source de polémiques, de discriminations, de dérives, de souffrances et d’inepties. Souhaitons qu’elle soit entendue." Elle a gagné d'avance au loto. Le DSM 5 (adopté 5 ans auparavant) ne l'a pas conservé. La HAS dans ses recommandations 2018 pour le diagnostic des enfants et adolescents préconise le DSM 5. Et dans quelques semaines, la CIM 11 (classification internationale des maladies 11ème édition) étendra cette préconisation; Au moins une prière d'ER exaucée par avance.
ER : "Ni livre noir ni plaidoyer en faveur de l’efficacité d’un traitement contre un autre, cet ouvrage montre à quel délire peut conduire la manie des classifications discriminantes. C’est ce que souligne d’ailleurs, dans sa préface, Josef Schovanec, qui fut diagnostiqué schizophrène puis Asperger, avant de se libérer de ce « magma putride »."
Il ne semble pas qu'ER vise la CFTMEA (classification française des troubles mentaux de l'enfant et de l'adolescent), avec son autisme de Kanner, sa psychose infantile et sa dysharmonie évolutive à tendance psychotique (voir Pierre Delion). Tout verdict qui s'est traduit par : "puisque vous voulez le savoir, votre enfant est autiste, il ne fera jamais rien de sa vie" (pour la première présidente de mon association) ou "votre enfant ne va pas bien, madame, il faut vous soigner" (pour ma femme).
Elle ne se pose pas la question non plus de l'aberration du secteur psychiatrique français à classer Josef Schovanec comme schizophrène, et à le médicamenter à outrance.
Elle ne se demande pas non plus de la pertinence à diagnostiquer Josef Schovanec ou Temple Grandin comme Asperger, alors qu'ils ont tous les deux eu un retard de langage, d'après leurs mémoires, ce qui les met plutôt dans la catégorie diagnostique de l'autisme typique.
Ce que refuse Josef dans sa préface (page 13) :
"Car tel pourrait être le grand apport, la désormais irréfutable démonstration d'Édith Sheffer : en mettant l'accent non plus sur la carrière de tel grand savant mais sur la vie des personnes, elle met à nu l'inanité des critères de démarcation entre récupérables et irrécupérables, entre les intégrables pour ne pas dire incluables et les autres, en somme la vacuité de toutes les objections à l'objectif d'inclusion, probablement le grand combat civique de notre siècle. En dépit d'années d'efforts, en dépit des moyens les plus étendus et de la mobilisation des esprits les plus brillants, encouragée par les plus hautes autorités des États ou plutôt des régimes concernés, les tentatives les plus soutenues de classification n'ont donné naissance qu'à un magma putride dont le nom d'Asperger durant trop longtemps fut le cache-sexe."
c'est la distinction entre autistes lourds condamnés et les autres viables, les incluables et les autres. Dans son rapport sur l'insertion professionnelle, il avait parlé du "mythe de l'autisme lourd" , ce qui avait provoqué une levée de bouclier chez des parents. Mais c'est la même chose qu'il veut dire dans sa préface.
Il commençait ainsi ce chapitre dans son rapport à Ségolène Neuville :
"Sixième dans la liste proposée des entraves à l'emploi des personnes autistes pourrait figurer la conception, le mythe diraient d'aucuns, dit de «l'autiste lourd». Si, et l'on parle ici avant tout des personnes autistes en tant que telles et moins des personnes présentant une autre spécificité ou maladie dont certains traits peuvent évoquer l'autisme, les personnes autistes sont diverses entre elles au même titre que les personnes non-autistes et que l'état objectif de déchéance sociale et personnelle de certaines reflète plus les carences de leur cadre de vie passé que leur supposée nature profonde biologique, persiste la croyance, voire s'amplifie en réaction aux progrès réalisés ailleurs en matière d'inclusion des personnes autistes, en la séparation du spectre autistique en deux demi-droites incompatibles d'apparence, et donc en la nécessité d'adopter des pratiques radicalement distinctes dans le cas des personnes autistes dites lourdes ou déficientes. Dans cette conception, le devenir professionnel épanouissant ou digne de ce nom est naturellement attribué aux seules personnes dites non-lourdes, les autres retrouvant un parcours et un destin similaire à celui qui était réservé aux personnes autistes dans leur ensemble tel qu'exposé précédemment, avec la réapparition sournoise des notions de hiérarchie tant des personnes que des métiers. (...) [1.6 pages 11-12]"
Joseph Schovanec a déjà payé suffisamment pour le poids de la psychanalyse et de l'incompétence de la psychiatrie pour ne pas être victime des interprétations délirantes d'Elisabeth Roudinesco.
ER : "Les Enfants d’Asperger ne manquera pas d’être instrumentalisé dans le débat qui oppose en France, depuis des années, les œdipiens fanatiques, adeptes de la culpabilité des mères, aux anti-freudiens radicaux, partisans de la rééducation comportementale des enfants autistes." Très drôle. Ce n'est pas l'objectif de ton article, ma vieille ?
ER : "Sans compter les docteurs Folamour, convaincus que l’autisme serait généré par des pesticides ou des antibiotiques." Il faut se tenir au courant, mais une "historienne" ne s'intéresse pas à l'actualité. Les pesticides ont un effet, assez faible, sur la génération de l'autisme. Et en ce qui concerne les antibiotiques, ils ne sont nulle part présentés comme cause de l'autisme : certains médecins les utilisent dans des soins (en rapport avec le microbiote). Méthode non prouvée, mais qui demanderait à être vérifiée.
Sur l’eugénisme à notre époque
"En Mai 1996, le quotidien « Libération » révélait une étude, effectuée en Gironde, montrant qu’un tiers des handicapées vivant en institution étaient stérilisées." Voir l'article :
Stérilisation des personnes handicapées mentales
Extraits de la documentation UNAPEI
Dans Contraste 2005/1-2 (N° 22 - 23), pages 273 à 284
Voir ausi colloque Conseil départemental du Finistère
Les relations sexuelles pouvaient être impossibles, ou "autorisées" seulement après accord de l'équipe éducative. Une intervenante handicapée a parlé de "prison".
Sur l'article du "Nouvel Observateur" [Le terrifiant passé du Dr Asperger], qui ne fait pas une analyse critique des trois sources existantes : par contre, le périodique présente deux photos soit-disant du Spiegelgrund. Il s'agit en fait de photos de l'hôpital pour enfants de Vienne en 1921, qui n'ont rien à voir avec le Spiegelgrund. C'est en juillet 1940, dans un autre endroit (Steinhof), qu'a été créé l'établissement municipal où a commencé dès le mois suivant l'extermination d'enfants handicapés.
Péché véniel que ce choix et légende sexy ...
Dortoir des enfants au Spiegelgrund (1940) © Edith Sheffer : "Les enfants d'Asperger" Dortoir des enfants au Spiegelgrund (1940) © Edith Sheffer : "Les enfants d'Asperger"
source:
https://blogs.mediapart.fr/jean-vincot/ ... es-oeuvres