Voici ma traduction de la réponse d'Ari Ne'eman (
que vous pouvez lire en anglais ici si vous le souhaitez):
Quelques réflexions sur l’étude publiée aujourd’hui dans @MolecularAutism au sujet de la collaboration d’Asperger aux crimes nazis contre les personnes en situation de handicap. (fil)
L’étude argumente de façon convaincante que Hans Asperger a collaboré aux projets nazis d’eugénisme, utilisant une richesse de preuves documentaires dont la compilation par l’auteur doit être saluée. (1)
L’étude a ses défauts – par exemple, elle critique NeuroTribes de @stevesilberman pour l’omission de ces informations sur Asperger, alors que l’auteur de l’étude sait très bien que la raison pour cela est qu’il a décliné de mettre ses recherches à disposition de Silberman. Mais dans l’ensemble, c’est une étude solide. (2)
Certain-e-s seront alarmés par la nouvelle qu’Asperger – dont une partie considérable du spectre autistique a porté le nom pendant presque deux décennies – était nazi. Certain-e-s penseront peut-être que cela fait du tort au mouvement pour la neurodiversité. Je ne suis pas du tout d’accord avec cela. (3)
Tout d’abord, cela fait des années que le gros de la communauté autiste ne s’identifie plus par les diagnostics du syndrome d’Asperger ou “Aspie”. De nos jours, l’identité autiste est plus fréquemment associée au seul terme “autisme”. (4)
Les termes de « syndrome d’Asperger » étaient utiles pendant un temps, pour remédier aux effets noctifs de la définition étroite et restrictive de l’autisme qu’avait conçue Leo Kanner ; cela a servi son but. L’autisme aujourd’hui est compris autrement que par la définition de Kanner. (5)
Si cette révélation avait émergé dix ans plus tôt, quand l’identité liée au syndrome d’Asperger était encore très prisée, était un outil pour élargir les conceptions de l’autisme auprès du grand public, cela aurait été bien plus difficile. (6)
Mais aujourd’hui, nous avons dépassé cela – et notre communauté devrait être suffisamment mature pour cesser d’idôlatrer des cliniciens et trouver nos héro-ïne-s parmi les rangs des personnes #ActuallyAutistic (7)
Secondement, le DSM-5 a regroupé le syndrome d’Asperger dans un diagnostic plus large d’autisme en partie parce que le diagnostic avait dépassé sa date limite en terme d’utilité clinique et que la séparation était devenue activement nocive. (8)
J’étais consultant pour le groupe de travail de neurodéveloppement pour le DSM-5 qui a pris cette décision et a encouragé un diagnostic unifié d’autisme. Il y avait plusieurs bonnes raisons à cela. (9)
Mon collaborateur autiste dans ce travail au sein d’ASAN, Steven Kapp, et moi, soutenions les recherches qui montraient que le syndrome d’Asperger, TED-NOS et TSA étaient utilisés de manière irrégulière, sans lignes directrices claires et cohérentes. (10)
Le diagnostic que l’on obtenait avait davantage à voir avec le docteur que l’on consultait et à quel stage de notre vie l’on était ou les traits que l’on présentait. Certaines personnes ont eu les trois diagnostics différents suivant le moment. (11)
De plus, la séparation était instrumentalisée de manière politique pour attaquer les personnes autistes qui avaient des opinions. Quiconque n’était pas d’accord avec un
autism parent (« parent d’autiste », ndlt) célèbre était accusé-e de « n’avoir que le syndrome d’Asperger », même si ce n’était pas leur diagnostic. (12)
Cela était (est toujours) particulièrement ironique, puisque les mêmes groupes de
autism parents n’hésitaient pas à utiliser des statistiques de prévalence qui incluaient le syndrome d’Asperger et les TED-NOS pour affirmer qu’il y avait une « épidémie d’autisme », mais discréditaient les personnes autistes qui n’étaient pas d’accord avec elleux en instrumentalisant le diagnostic. (13)
Sans doute plus important encore, le syndrome d’Asperger et les TED-NOS étaient souvent utilisés pour nier l’accès aux services à des enfants et adultes autistes, parce qu’iels n’avaient pas « le bon diagnostic ». Nous avons écrit un communiqué qui soulignait cela pour le changement dans le DSM-5 :
http://autisticadvocacy.org/policy/briefs/dsm-5/ … (14)
Avec ce contexte, il est important de ne pas surestimer l’impact de cette révélation sur notre compréhension moderne de l’autisme. Le travail effectué ces trente dernières années ne dépend pas de la vertu d’un médecin autrichien mort depuis longtemps. (15)
Selon la même logique, la manière dont le diagnostic de syndrome d’Asperger a pu être utile et amener un progrès pendant ses années d’usage ne devrait pas nous aveugler quant à la duplicité d’Asperger. (16)
Certain-e-s diront peut-être qu’Asperger était sous pression – ce qui est vrai, sans aucun doute – ou que la collaboration n’était pas optionnelle sous le régime nazi des années 40. Cela fait du tort à toutes les personnes courageuses qui ont agi en risquant leurs propres vies pour sauver les personnes juives, les personnes en situation de handicap et les autres personnes ciblées. (17)
Ces personnes courageuses était l’exception plutôt que la norme, pas seulement du fait de leur courage mais du fait de l’antisémitisme systémique et du mépris pour les vies handies qui étaient pervasifs en Allemagne, en Autriche et dans la culture européenne de l’époque. (18)
L’étude de Czech, malgré ses failles, documente le fait qu’Asperger faisait partie de cette culture et a tenté d’édulcorer sa réputation après les faits, avec grand succès. (19)
Au final, il y a certaines décisions dont les conséquences morales nous définissent, bien après que nous soyons parti-e-s, et à l’exclusion de toute autre chose. La décision de collaborer avec la machine de mise à mort nazie est une de ces décisions. (20)
Comme tous les êtres humains, celleux qui ont pris cette décision étaient des personnes complexes, nuancées qui avaient leurs propres raisons pour leurs actions – mais leur faille morale dans un moment critiques les définit avant tout comme des collaborateurs du régime le plus malveillant, abject que le monde ait jamais connu. (21)
En somme, nous ne devrions pas honorer Asperger davantage, tout comme nous ne devrions pas laisser cette compréhension de l’histoire (qui aurait dû arriver depuis longtemps) amener une régression pour les personnes autistes – les victimes des nazis – dans leur lutte qui a progressé ces dernières décennies. (22)
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Benoit a écrit :
1. Je ne crois pas que les gens s'identifient au SA en France. Il fait partie de nous mais il n'y a pas d'effet 'communautaire' ni du coup de risque pour les gens qui se seraient identifies de façon exclusive au SA.
2. Les anglo saxons ont ceci de particulier qu'ils n'ont jamais ete occupes dans la derniere guerre. Ca leur donne une vision probablement differentes de ce que pouvait etre la vie sous un regime nazi. (enfin, en esperant que leur connaissance historique ne sorte pas de chez Marvel, parce que j'ai des doutes quand je lis SuperVillain...)
Pour le 1., je sais pas trop. C'est difficile de jauger ça, on a pas de stats sous le coude. En revanche ce qui peut être dit c'est que le diag de S.A. est toujours utilisé en France, et que pas mal de personnes se revendiquent donc "autiste Asperger", "Aspie". Quand je parle du fait que je suis autiste avec des gens, c'est une des premières remarques/questions qui vient : "Ah, autiste Asperger c'est ça ?" "Pourquoi on parle d'autistes et d'autistes Asperger, c'est quoi la différence ?" etc. Par ailleurs au niveau associatif, contrairement aux USA ou au Royaume-Uni, en France il n'y a pas (à ma connaissance) de structure associative de self-advocacy du genre d'ASAN qui ne fasse pas de hiérarchie entre les diagnostics. Il y a quelques assos pour les personnes S.A., quelques assos qui parlent d'autisme, j'ai l'impression que c'est quasi exclusivement des structures dirigées par des parents allistes de personnes autistes. La situation me paraît donc quand même en décalage avec l'activisme autiste anglo-saxon. Il n'y a pas une communauté "Aspie" extrêmement active comme il y a pu en avoir à l'étranger, certes. Mais pour autant, la hiérarchie entre les diags (ou du moins la séparation conceptuelle) règne en France, non ?
Pour ce qui est du point 2., Herwig Czech est un historien autrichien dont le grand-père était nazi, c'est pas un américain qui se fait des idées farfelues sur l'Europe durant la Seconde Guerre Mondiale et qui sous-estime la pression sociale à l’œuvre à cette époque. D'ailleurs ça fait des années que Czech étudie les crimes médicaux durant le IIIè Reich.
(source)
Benoit a écrit :J'interprète ça comme une façon de se désolidariser sans aucune ambigüité de toutes les manoeuvres visant à renommer le S.A. dans le but d'exclure toutes ces personnes "qui n'ont besoin de rien" du spectre de l'autisme. A commencer par E. Scheffer.
Tu peux développer ? Je suis pas sûr-e de bien saisir ce que tu veux dire par là.