Chronique de l'autisme

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Jean
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Chronique de l'autisme

#1 Message par Jean » mardi 2 juin 2009 à 22:15

Chronique de l’autisme

Après avoir envoyé une bonne cinquantaine de CV, j'ai fini par me faire embaucher comme stagiaire psychologue dans un hôpital de jour pour enfants autistes et psychotiques. C'est une étape obligatoire pour valider une licence de psychologie clinique.
L'hôpital est à une heure et demie de chez moi et je ne sais pas encore ni à quoi ni à qui j'ai affaire. Mais je ne songe pas à me plaindre et encore moins à refuser cette proposition : on m'a assez répété que trouver un stage non rémunéré à ce niveau d'étude, c'est inespéré.~

Cet hôpital de jour fait partie d'un des plus grands établissements psychiatriques de France, relativement excentré par rapport aux services adultes et adolescents. Un bloc en préfabriqué sans étages, entouré de petits jardins grillagés. Autour des larges pelouses, des grands arbres, et ,à quelques dizaines de mètres, une nationale bruyante. Les enfants arrivent là en ambulance du lundi au vendredi à 9h et sont ramenés chez eux à 17h. Le principe d'une telle structure, - c'est de remplacer l'école tout en proposant des soins psychologiques intensifs, pour permettre à ces enfants de (ré)intégrer un parcours plus classique, peut-être, un jour. En face de l'hôpital de jour se trouve l'hôpital permanent, accueillant des enfants psychotiques très jeunes aussi, qui n'ont pas la chance d'avoir une famille assez stable pour pouvoir rentrer chez eux le soir et le week-end. C'est à peu près la seule différence entre ces deux structures. Beaucoup d'enfants finissent dans celle où je travaille, faute de place à l'hôpital permanent.

Les enfants accueillis à l’hôpital de jour, au nombre de quarante à peu près, sont répartis selon leur âge sur six « groupes de vie », espaces définis composés d'une à deux pièces, d'une salle de bain et d'un petit jardin, dans lesquels les enfants évoluent en dehors des activités thérapeutiques. Au sein de ces espaces, ils sont encadrés par plusieurs «paramédicaux», éducateurs et infirmiers, spécialisés ou non en psychiatrie. Les portes de ces espaces, comme celles de toutes les pièces de la structure, sont en permanence fermées à clef. Les enfants ne se croisent que dans les couloirs et lors des activités transversales.

Premier jour
Une psychologue, deux psychologues me reçoivent. Ici, on a affaire à l'une des «pires» pathologies mentales observées chez l'être humain. Des enfants, entre deux et douze ans, qui présentent des «symptômes» très particuliers.
Ils ne parlent pas notre langage, ne regardent jamais dans les yeux, font de drôles de gestes répétitifs avec leurs mains, leur tête, leur corps. Ils marchent parfois sur la pointe des pieds et serrent les poings. Ils font des colères incroyables, avec des cris, des hurlements, des pleurs. Ils ne jouent pas ensemble et, pire, ils n'ont pas ! l'air de savoir comment on joue avec les objets, nounours, dînettes, camions, livres d'images: ils les saisissent, les secouent, les font tourner, les jettent. Ils ne font pas semblant, ils ne font pas de bisous aux nounours, ne portent pas les aliments en plastique à la bouche, ils ne font pas rouler les camions.

Autres «symptômes»: ils s’auto-mutilent, mangent leur caca, se mettent à courir sans but, se couchent par terre et ne veulent plus se relever, se masturbent devant tout le monde, résistent à la douleur physique, ne sont jamais malades, adorent l'eau et les faisceaux lumineux, sont surtout des petits garçons, se mettent tout nu, tapent fort parfois. On arrête là: ce qu'il faut retenir, c'est qu'ils souffrent atrocement, ça se lit sur leur visage. Les chances de guérisons sont infimes, mais il faut y croire.
L'entretien est fini. Je commence jeudi prochain.
J'ai le vertige.

La semaine d’après
Je ne comprends pas encore ce que je fous là, c'est la deuxième fois que je mets les pieds dans cet hôpital et je n'ai pas encore vu d'enfants. Enfin si, j'en ai croisé deux ou trois dans le couloir qui tenaient la main d'un adulte. En fait, j'ai très peur. Non pas parce qu'on me présente les enfants comme des monstres, mais parce que je me sens d'emblée incompétente. Comment les approcher? Comment parler d'eux? Tout me semble artificiel, irréel. Où est la vie ici? Je suis psy ici, pas éducatrice, je ne peux pas franchir les portes des groupes de vie sans autorisation, sans qu'on me jauge. Ma présence dans l'un de ces groupes peut être vécue comme une intrusion terrible. Les groupes ont leur logique propre, les éducateurs et infirmiers se connaissent depuis longtemps et ils ont adopté des manières de faire autonomes avec les enfants. Ce sont des espaces de vie d'où les enfants sortent pour aller en entretien, en atelier, en ballade, etc. Dans ces espaces, ils mangent, font la sieste, jouent: c'est le temps libre. Dehors, c'est la thérapie proprement dite. Entre ces deux espaces, des couloirs et des bruits sourds d'enfants et d'adultes qui crient.

Ce sont surtout les adultes qui crient des prénoms à longueur de journée: « Tais-toi Anaïs/», «Thomas assieds-toi/», «Karim, si tu ne finis pas ton assiette, tu vas dans le couloir /» Et Karim finit dans le couloir, accroupi, il hurle. Il ne faut pas aller le voir, ça annulerait toute l'autorité de l'équipe, ça fausserait les relations, et puis ce n'est pas mon rôle de toute façon.

Ici, chacun a sa place, on ne mélange les savoirs et les pratiques que du bout des doigts. Alors que les psy voient les enfants une demi-heure par semaine et rédigent des comptes rendus au chef psychiatre, les éducateurs font la cuisine, essuient les fesses, changent les couches, gueulent. En fin de journée, les éducs sont crevés, ils n'en peuvent plus.

On me propose de suivre le travail d'une psychologue une journée par semaine. C'est une psy très branchée par la «multidisciplinarité ». Elle défend un travail thérapeutique intensif sur trois niveaux : relationnel, cognitif et éducatif. En théorie, il s'agit de redonner une enveloppe corporelle à ces enfants qui en sont dépourvus, tout en les incitant à faire fonctionner leurs capacités cognitives et en leur apprenant à respecter les règles sociales. Le but de tout ceci, c'est qu'ils trouvent un intérêt pour le monde extérieur et qu'ils intègrent les valeurs et les interdits sociaux; qu'ils quittent le plus vite possible l'hôpital pour rejoindre les bancs de l'école dite «normale ». Plus tard, le monde du travail.

En pratique, toutes ces promesses thérapeutiques ne reposent que sur une seule chose: le cadre. Un cadre pour apprendre à lire, à écrire, à parler. Un cadre pour envelopper, un cadre pour rassurer, un cadre pour inculquer les règles de vie en commun. Un cadre pour donner un sens à la vie. Sans cadre, ces enfants sont soumis aux pires angoisses: angoisses d'éclatement, de chute, d'anéantissement. Sans le cadre des soignants, les enfants se mettent à créer le leur, pour se défendre contre ces angoisses, mais de manière autistique.
C'est alors qu'ils développent tous ces agissements, ou «symptômes », que j'ai énumérés plus haut.

Ces enfants ont un défaut fondamental, c'est c celui de la communication - ce qui les rend «inadaptés », voire «dangereux». La seule solution que l'on ait, c'est le cadre. D'où vient ce défaut de communication? Ici, peu importe, de toute façon, on ne le saura jamais vraiment. Il ne s'agit pas de s'attarder sur les causes relationnelles et affectives de t cette souffrance, il s'agit de la réduire au maximum t et de permettre une adaptation sociale. Privation d'amour, trop-plein d'amour, traumatisme précoce, abandon, excès de sensibilité, défaut de sensibilité, etc. - laissons les querelles théoriques aux psychanalystes souvent peu soucieux du devenir social de ces enfants.

Deuxième semaine
La jeune psy qui m'encadre ne veut plus prendre en charge Olivier. Il n'avance pas. Il est dans la « provocation» et ne se concentre jamais. Tant pis, elle a la liberté de laisser tomber une thérapie si elle n'en a plus envie. Les soignants du groupe d'Olivier s'insurgent. Il serait apparemment au premier plan d'un drame familial: le départ de sa mère. Il ne faut pas lâcher ce gamin maintenant. Pas de discussion possible entre la psy, à qui il ne faut pas apprendre son travail, et les éducs, qui connaissent les enfants mieux que quiconque. Le psychiatre tranchera plus tard. Finalement, Olivier sera pris en charge par un autre psy, quand celui-ci trouvera un créneau.

L'affaire est réglée, la communication entre adultes n'y a pas fait grand-chose.

Assimiler souffrance et défaut de communication ne va pas de soi. Pour nous autres, qui nous servons essentiellement du langage verbal pour communiquer, ces enfants qui ne parlent pas paraissent enfermés dans une coquille indestructible qui les empêche de se développer normale- ment, physiquement et psychiquement. Mais nous pouvons, et nous devons même, remettre sérieusement en question l'idée qu'ils souffrent atrocement de cet état. La plupart des personnes qui entourent ces enfants considèrent la moindre expression verbale comme une avancée formidable vers la « guérison ». Cette idée laisse entendre que l'absence de communication verbale serait équivalente à celle que l'on retrouve dans les états de retrait catatonique (c'est-à-dire de prostration mélancolique), ce qui est loin d'être le cas. Les personnes autistes ne sont pas dans une souffrance dépressive liée à une perte de sensibilité ni à un dégoût de la vie.

Ces enfants s'auto-stimulent en permanence, ils interagissent avec leur environnement par des moyens non verbaux.
L'hypothèse selon laquelle le retrait autistique est une réponse ou une réaction à une souffrance insupportable n'est pas absurde. Cependant, ce retrait est bien plus qu'une manifestation de la souffrance. Il peut être une autre façon d'être au monde, avec ses joies, ses peines, toute la palette d'émotions qu'un humain peut ressentir.

Durant les ateliers de « pataugeoire», Téo se verse de l'eau sur la tête, fait caca dans le bain systématiquement et explore, avec un plaisir apparent, les parties molles et dures de son corps (sous le menton, en particulier). Quand on le retire de la piscine, il se met à hurler.
Pas un mot.
Mais ne s'est-il pas exprimé? .

Il est huit heures du matin
Je suis assise dans la salle d'observation. Derrière la vitre sans tain, une petite salle sans décoration. Au milieu, une table et deux chaises d'enfants de couleurs vives. Sur une autre table, plus petite, des jeux posés, et, au fond de la salle, un tableau blanc. Rita, la psy, arrive avec Kévin; je me prépare à prendre des notes. Je m'ennuie déjà. Comme lors de chaque entretien psychologique, Rita va asseoir l'enfant sur une chaise et lui proposer un jeu, presque sans un mot. S'il réussit le jeu, c'est bien, sinon on recommence. Kevin réussit les jeux d'encastrement, c'est bien. Rita lui propose maintenant un garage en plastique avec des petites voitures. Kévin fait rouler les voitures, une, deux, trois, il ne s'arrête plus. Je lis l'exaspération sur le visage de Rita: Kévin s'enferme dans une répétition autistique. Elle range le jeu et lui donne de la pâte à modeler. Kévin, étonné, saisit des blocs et les jette sur la table. Rita fait des petits bonshommes et lui montre en disant: «Regarde, je suis le petit bonhomme!» Kévin jette un coup d'œil furtif et se remet à jeter de la pâte. Rita regarde sa montre, la séance est finie. La demi-heure est passée. Kévin ne veut pas partir, mais il le faut, pour le cadre encore une fois, pour qu'il apprenne à se séparer. Il montre qu'il veut ouvrir le cadenas du placard à jouets, alors il se fait engueuler. Rita le prend par la main.

Kévin n'a pas l'air de comprendre.
Moi non plus.

Quelques heures après
Téo a 4 ans. On va évaluer en âge son niveau de développement intellectuel et relationnel. C'est en fait une suite de petites épreuves, comme mettre trois verres opaques retournés devant lui pour voir s'il les soulève, ou lui présenter un miroir pour voir s'il se regarde dedans, etc. Les épreuves durent quelques minutes tout au plus et il y en a beaucoup. En une heure, Rita présente plus d'une quinzaine de jouets différents. Elle regarde les réactions de Téo puis remplit la grille de cotation. Au bout d'un quart d'heure, Téo se désintéresse du test. Il devient insupportable, il crie et il pleure. Le test est faussé, mais on n'a pas le temps de le refaire, alors on va coter à l'intuition. On lui donne 6 mois en âge de développement, autrement dit il réagit aux objets comme un bébé de 6 mois.
Espérons qu'après quelques années dans ce service, il atteigne 1 an.

Fin de journée
Nassim, lui, va avoir 12 ans. C'est un petit garçon qui grandit très vite. Selon les médecins, il n'est pas vraiment autiste, mais on est sûr qu'il est psychotique parce qu'il semble avoir des hallucinations auditives et visuelles. On me le présente d'emblée comme le cas le plus difficile de l'hôpital. Tous les thérapeutes, éducateurs, psychiatres, orthophoniste s, psychomotriciens, ont laissé tomber: c'est ce qu'on appelle, dans le jargon des psys, une impasse thérapeutique. Ce gamin est là depuis des années, il a fait tous les «groupes de vie », et il est aujourd'hui dans le groupe des grands. La prochaine étape pour lui, c'est le service pour adolescents, mais les places sont chères et Nassim n'y ira pas. Pourtant il est très performant. Les puzzles, encastrements et autres jeux cognitifs n'ont plus de secret pour lui, il les termine en quelques minutes. Si on l'y incite, il peut même formuler des phrases cohérentes pour demander du pain ou un gâteau. Le problème de Nassim, c'est qu'il fait peur. Il commence à être grand et fort, sa sexualité s'éveille, son regard change et il ne se calme pas. Il a des crises de nerfs, qui semblent advenir sans raison, et il refuse d'être raccompagné sur son groupe, il se couche par terre dans le couloir et se met à rire bizarrement ou gémir. «C'est toujours comme ça, avec Nassim. » La psy est la seule à être désolée pour cet enfant, désolée qu'il exaspère tant les autres soignants, désolée de ne pouvoir le recevoir qu'une heure par semaine.
Désolée tout en étant sûre de bien faire, car il faut qu'il apprenne le cadre: l'arrivée, le départ, la contrainte. Tout le monde sait qu'il passe plusieurs heures par jour dans la salle d'isolement.

Trop bruyant, trop violent, incontrôlable.
Pour Nassim, quand ce n'est pas un éducateur qui lui hurle dessus pour qu'il fasse ce qu'on attend de lui, c'est le mitard.
On a tout essayé pourtant...

Réunion de synthèse
Nassim va rester un an de plus à l'hôpital de jour parce qu'aucun service psychiatrique pour adolescent ne l'accepte, son dossier est trop désastreux. Quand je pose la question: «Mais quand vous ne pourrez vraiment plus le garder; où va-t-il aller ?», on me répond tristement: «Nulle part. Il rentrera chez lui et il finira en prison quand il aura agressé une personne dans la rue. C'est évident. »

Comme la majorité des enfants de cet hôpital, issu d'un milieu social très défavorisé: Nassim ne part pas en vacances, il n'a pas beaucoup de jouets et l'on soupçonne qu'il ne mange pas toujours à sa faim. S'il avait des parents riches, il serait placé dans une structure privée, il ne connaîtrait jamais les services psychiatriques fermés et autres établissements d'enfermement.

Malgré l'impuissance des soignants face à sa situation désespérée, le psychiatre aura assez d'attendrissement pour lui permettre de rester un an de plus.

Nassim n'a pas l'air de se rendre compte de l'importance de cette décision
Image
Extrait de la revue Zite n°1

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Jonquille57
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#2 Message par Jonquille57 » mercredi 3 juin 2009 à 0:31

Cet article me fait froid dans le dos.... Cela me rappelle trop de souvenirs.. " Le cadre " : ce mot me fait frémir. C'est sous ce prétexte qu'on me " volait " le 1/4 d'heure de visite que l'on m'avait autorisé par semaine pour voir Florent quand il était en HP. Il avait 14 ans.

Un jour peut-être, j'écrirais ce que nous avons vécu durant cette période. Cela me permettra peut-être d'évacuer certains démons qui ne me quittent pas depuis ces années. Pour le moment, j'ai trop de haine envers ces psys qui nous ont trop fait souffir et qui étaient sûrs de détenir la vérité. Ces gens-là mériteraient la prison pour le mal qu'ils ont fait.

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bernard
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#3 Message par bernard » mercredi 3 juin 2009 à 7:57

Tony Attwood en a parlé samedi.
Il s'est adressé à la salle qui contenait des professionnels.
Avec son phrasé il a mis en garde contre la bêtise et l'ignorance sous couvert de diplôme et a parlé de faute professionnelle, et d'insulte à la condition humaine.
Il a même terminé en disant que chaque parent qui a gardé au moins 7 ans son enfant autiste 24h/24, doit se voir remettre un PhD avec mention ! Et là, il ne riait plus. Il le pensait vraiment.
J'ai vu des larmes dans les yeux de certains parents.

J'espère que vous viendrez à son prochain passage en France dans 2 ans. Cela fait tellement du bien d'entendre un professionnel dire enfin la vérité.
Bernard (55 ans, aspie) papa de 3 enfants (dont 2 aspies)

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