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par EnHans » mardi 22 novembre 2022 à 8:26
Le parisien. Le récit glaçant de la principale du collège de Samuel Paty :
« Quand il y a eu l’hommage et que je me suis retrouvée avec la famille (de Samuel Paty), je me suis dit que je n’avais pas réussi à le garder en vie, mon prof. » Des mots simples pour une douleur indélébile. Ce 11 janvier 2022, face au juge chargé d’instruire le dossier de l’assassinat de l’enseignant, l’ancienne principale du collège de Conflans-Sainte-Honorine s’épanche longuement.
Pour sa première audition en tant que partie civile, elle raconte les semaines qui ont suivi l’attentat du 16 octobre 2020 visant le professeur d’histoire-géo : la protection policière, le traumatisme de collègues qui craquent et quittent le collège, les trajets en « regardant dans les rétroviseurs » par peur d’être suivie, ou encore la crainte qu’on veuille un jour « s’en prendre à la principale de M. Paty ».
Ce récit émouvant de la fonctionnaire de l’Éducation nationale, désormais affectée dans un établissement hors de la région parisienne, retrace aussi les multiples alertes qu’elle a lancées dans les jours qui ont précédé l’attentat et nourrit de nombreuses questions alors que la famille de Samuel Paty a déposé plainte pour « non-assistance à personne en danger ».
« Je sentais le collège menacé et je me sentais en première ligne »
Huit jours avant le funeste vendredi après-midi, la principale du collège du Bois-d’Aulne comprend que le problème de l’élève Z., qui a menti en affirmant que Samuel Paty avait obligé les élèves musulmans à quitter un cours durant lequel il avait montré des caricatures de Mahomet prend des proportions inquiétantes.
Le 7 octobre, elle alerte le renseignement territorial. Le lendemain, Brahim Chnina, le père de Z., vient devant le collège avec Abdelhakim Sefrioui, qui se présente comme « le représentant des imams de France ». « En entrant dans mon bureau, M. Sefrioui me dit que s’ils avaient été juifs, on ne les aurait pas laissés attendre dans le froid », se souvient la principale. « Ce sont des gens agressifs dans leurs propos. (…) Ils attaquent tout de suite sur ce qu’il s’est passé avec M. Paty. Ils le traitent de voyou à plusieurs reprises. (…) Je sentais le collège menacé et je me sentais en première ligne. »
Dès la fin du rendez-vous, la proviseure fait remonter l’information au « directeur académique adjoint via son portable ». Elle lance aussi un signalement « Fait établissement », un dispositif rare qui permet aux chefs d’établissement de faire remonter au ministère des faits graves portant atteinte aux valeurs de la République. « J’ai aussi prévenu le référent police au commissariat de Conflans pour demander une sécurisation du collège », souligne la principale.
« Un message dit que, si l’on ne fait pas quelque chose avec notre Paty, ils vont monter s’occuper de nous »
Le 9 octobre, une réunion avec des parents d’élèves est encadrée par les forces de l’ordre : « J’ai au moins un policier en tenue qui est entré dans le hall. » À l’issue de cette semaine « compliquée », la cheffe d’établissement est alertée le samedi qu’une vidéo enregistrée par Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui est « passée à 800 vues (…). Je me dis que c’est un peu beaucoup. Le collège est nommé et M. Paty est nommé. »
Le lundi matin, la pression ne retombe pas. Le collège a reçu « un message audio de la part d’une personne de Montpellier qui dit que, si l’on ne fait pas quelque chose avec notre Paty, ils vont monter s’occuper de nous. Il dit qu’il va en prendre plein la gueule et le collège aussi, en nous traitant de racistes. » À cet instant, la principale découvre des enseignants en larmes dans la salle des profs. Certains veulent exercer leur droit de retrait.
Après une assemblée générale organisée au collège en présence du référent laïcité de l’académie, le professeur et la principale déposent plainte le mardi. La seule mesure du commissariat local sera de dire à Samuel Paty « de prendre son véhicule personnel pour se rendre au collège ». Le vendredi qui suit cette plainte, Samuel Paty est assassiné par Abdoullakh Anzorov.
Après l’attentat, des grilles installées devant l’établissement
Les alertes successives de la principale auraient-elles dû déclencher la mise en place d’une protection particulière pour Samuel Paty et ainsi permettre d’éviter le drame ? Le juge n’interroge pas la fonctionnaire sur un éventuel manque de réaction de l’Éducation nationale ou de la police.
Mais, en toute fin d’audition et en réponse à son avocat, elle souligne un point troublant, comme un symbole de ce danger que beaucoup n’ont pas voulu voir. Un mois après l’attentat, le département a fait installer des grilles devant l’entrée de l’établissement. Cela faisait quatre ans que la principale le réclamait.
Un enfant diag en 2012