çà parle quand même d'autisme ...
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Rennes - Rennes. Plongée dans la communauté des Wikipédiens bretons
Maxime Gouraud, Le Mensuel de Rennes
Publié le 21 juin 2019 à 10h41
Des milliers d’internautes consultent chaque jour leurs articles, mais qui les connaît vraiment ? En Bretagne, certains contributeurs de l’encyclopédie en ligne Wikipédia se rencontrent « in real life ». Une singularité chez ces Diderot du web, explique le Mensuel de Rennes.
Quand fut inventée la souris informatique ? Où Ernest Hemingway a-t-il grandi ? Quel était le nom du premier préfet du Morbihan ? Toutes les réponses à ces questions – certes pas franchement vitales – se trouvent sur Wikipédia.
Quand il s’agit d’étancher sa soif de savoir, l’encyclopédie collaborative en ligne est devenue incontournable. Parfaitement référencée par les moteurs de recherche, elle est, avec près de 3,7 millions d’internautes quotidiens, l’un des sites les plus visités en France, derrière Google et Facebook mais devant Instagram ou encore Le Bon Coin.
Armée de bénévoles
Dix-huit ans après sa création, la version francophone propose plus de 2 millions d’articles, sur des sujets très variés. De la « Bataille de la Somme » aux « Toilettes japonaises », en passant par la « Question du rattachement de la Loire-Atlantique à la région Bretagne ».
Des pages créées, alimentées, modifiées et corrigées par une armée de contributeurs bénévoles, qui digèrent et synthétisent des sources glanées çà et là, de façon la plus neutre possible.
Dans leur majorité, note Le Mensuel de Rennes dans son numéro de juin, ces « wikipédiens » prennent part au projet « anonymement », « sous adresse IP », c’est-à-dire sans avoir de compte. Cette majorité silencieuse participe épisodiquement, souvent quelques fois par mois tout au plus. Connectés sous pseudos, les plus actifs peuvent, eux, intervenir toutes les semaines. Voire quotidiennement.
Nicolas Vigneron fait partie de la deuxième catégorie. Ce Rennais de 35 ans, tignasse rousse et petites lunettes sur le nez, est le « profil type » du wikipédien : un homme, « plutôt jeune » (même si de plus en plus de retraités s’y mettent) et diplômé. Il appartient à ces « 1 % » de contributeurs les plus zélés. Presque tous les jours, il apporte sa pierre à l’édifice Wikipédia. Aussi modeste soit-elle.
Son truc à lui ? Corriger les fautes d’orthographe dans le mot Ille-et-Vilaine, dès qu’il apparaît. « Bien souvent il manque les tirets », remarque-t-il. Un travail de fourmi, ingrat, chronophage, et totalement ignoré par l’immense majorité des utilisateurs du site.
« Wikipédia, c’est comme un musée. On ne va pas demander à être payés quand on va au Louvre » Un Wikipédien lorientais
Sorties photos
Des contributeurs assidus comme lui, il y en aurait une dizaine à Rennes. Peut-être une petite centaine à l’échelle de la Bretagne. À Lorient, Vannes, Auray, Brest, Josselin… Difficile de définir avec certitude leur nombre. Si elle est organisée en ligne, la communauté des wikipédiens n’est pas structurée IRL – in real life. « Nous sommes des vaisseaux qui se croisent dans la nuit », poétise Nicolas Vigneron.
Ces encyclopédistes 2.0 peuvent coopérer étroitement sur un même article sans jamais se rencontrer, ni même connaître leurs vraies identités. Les échanges et débats, parfois passionnés et passionnants, se font via le forum du projet, à la vue de tous les internautes.
En Bretagne, la communauté a tout de même pris corps en dehors de la toile. « Rennes a été la première ville et pendant longtemps la seule où les wikipédiens se retrouvaient régulièrement pour discuter autour d’un verre », souligne Benoît Evellin, alias Trizek sur l’encyclopédie.
Avec Nicolas Vigneron et d’autres, ce trentenaire fait partie de ce noyau de wikipédiens bretons à s’être réunis, à la faveur de collaborations répétées sur certaines pages. D’abord en petit groupe à la bibliothèque des Champs libres, pour leurs recherches. Jusqu’à organiser aujourd’hui des sorties photos une à deux fois par an dans le grand Ouest, à Carnac ou en Mayenne par exemple.
Tribu
Objectif ? Alimenter en illustrations le site, mais aussi fédérer la tribu. « On sait que les gens s’investissent plus activement et plus longtemps quand ils échangent en vrai », expose le Lorientais Florian Faucheux, connu sous le pseudo XIIIfromTOKYO. « Ça permet aussi de lancer des dynamiques ». Et de citer en exemple le projet Monuments historiques, destiné à mettre en valeur les édifices français sur Wikipédia. Une initiative à la base de la communauté rennaise.
Monuments historiques, mais aussi universités japonaises, chemin de fer, cours d’eau… La participation des encyclopédistes bretons ne se borne pas aux sujets régionaux. « Il y a des articles que l’on ne peut faire qu’en étant sur place, parce qu’ils nécessitent des sources qui ne seront disponibles que dans telle bibliothèque ou telle mairie.
Mais sinon, il n’y a pas de règle. C’est très éclectique », renseigne la Josselinaise Amélie Tsaag Valren. Cette dernière alimente par exemple des articles liés à l’autisme, un trouble qui la touche. Pigiste pour des revues équestres, c’est également elle l’experte cheval du Wikipédia français.
« Rennes a été la première ville où les Wikipédiens se retrouvaient régulièrement » Le Rennais Trizek
Un loisir avant tout
Ce qui passionne les wikipédiens pour la plupart ? Fouiller, potasser un sujet, en débattre avec la communauté, pour enfin présenter une page chiadée. « Quand on regarde son article à l’écran, après des jours de recherches et d’écriture… C’est un sentiment assez génial », sourit Trizek. Ce dernier l’assure : Wikipédia a carrément « changé (sa) vie ».
À force de parcourir de la documentation, de sauter de page en page, l’encyclopédie a aiguisé son esprit critique et lui a ouvert l’esprit sur de nombreux sujets. C’est « une porte vers le savoir », dit-il.
Paradoxalement, ce n’est pourtant pas l’envie de partager des connaissances avec le plus grand nombre qui anime les contributeurs. S’ils passent parfois plus d’une heure par jour sur l’encyclopédie, c’est pour eux un loisir avant une mission.
Rien d’anormal pour eux, donc, à ce qu’ils ne soient pas rémunérés pour leur abattage. Le Lorientais Florian Faucheux : « Wikipédia, c’est comme un musée. On ne va pas demander à être payés quand on entre au Louvre ». Amélie Tsaag Valren n’est pas fermée, elle, à l’idée de toucher un petit pécule, selon les cas. Une opinion encore très minoritaire.
Détracteurs
Wikipédia est libre. C’est même un de ses principes fondateurs. C’est aussi ce qui donne du grain à moudre à ses détracteurs. Enrichie par des « amateurs », elle serait pour certains truffées d’erreurs et partiale. Des critiques qui ont le don de fatiguer les Wikipédiens, même si ces derniers ne nient pas des failles : difficulté d’aborder un sujet en l’absence de sources écrites, biais occidental…
L’encyclopédie est surtout vulnérable face aux manipulations, tout particulièrement sur les sujets d’actualité ou les biographies de personnalités encore en vie. Du vandalisme des « petits malins du CDI », le mercredi après-midi, aux tentatives plus insidieuses de lobbyistes. L’attention et la maintenance doivent être permanentes.
Au départ, une simple expérimentation
Contributeur depuis 2005, Pierre-Yves Mevel rappelle que Wikipédia n’était à son lancement en 2001 qu’une expérimentation. « Pour qu’elle existe encore aujourd’hui, c’est qu’elle fonctionne plutôt bien dans l’ensemble. Depuis, le niveau d’exigence a même augmenté. Elle a acquis ses lettres de noblesse, même auprès des chercheurs ».
Et d’insister sur les vertus de l’intelligence collective. Amélie Tsaag Valren met d’ailleurs au défi quiconque de comparer la fiabilité de ses contenus avec ceux d’encyclopédies sur les chevaux.
Principes fondateursDepuis sa création, les principes fondateurs de Wikipédia sont globalement restés les mêmes. C’est d’abord une encyclopédie : tous les contenus ne sont pas légitimes. Elle recherche la neutralité de point de vue et est libre. Ses contributeurs doivent respecter les règles élémentaires de savoir-vivre. Dernière règle ? Wikipédia ne saurait avoir d’autres principes fondateurs que ceux précédemment cités.