L'institut Quacquarelli Symonds (QS) fait partie de ceux qui produisent des classements mondiaux des universités, sur la base de critères toujours discutables et âprement débattus. Il ne faut évidemment pas prendre ces indicateurs pour argent comptant, et toujours être bien conscient de ce qui est mesuré, de ce que cela reflète, et de ce que cela ne reflète pas.
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1er constat:
Les universités françaises brillent par leur absence du Top 100 en psychologie, alors même que plusieurs d'entre elles y sont présentes dans de nombreuses autres disciplines ainsi que dans le classement global (PSL, Polytechnique, Sorbonne, Paris-Saclay).
2ème constat:
Cette performance en psychologie est d'autant moins glorieuse que d'autres pays francophones bien plus petits que la France font beaucoup mieux. Notamment, la Belgique (6 fois moins d'habitants) place 3 universités dans le Top 100. Aucun universitaire connaissant les départements de psychologie dans ces différentes universités ne sera surpris.
3ème constat:
C'est sans doute le résultat le plus contre-intuitif: les deux universités françaises qui se classent le mieux (entre la 101ème et la 150ème places) sont des universités qui n'ont pas de département de psychologie et ne forment aucun psychologue!
Comment expliquer un tel paradoxe? Examinons les deux universités en question.
Sorbonne Université n'a pas d'UFR de psychologie, mais elle a l'une des plus importantes facultés de médecine de France, incluant donc la psychiatrie, et elle possède l'un des principaux centres de recherches français en neurosciences cognitives et cliniques (l'Institut du Cerveau). Un examen dans la base de données Scopus des publications des 5 dernières années de Sorbonne Université dans la catégorie Psychologie confirme que ces publications sont principalement issues des services de psychiatrie de l'hôpital universitaire Pitié-Salpêtrière, de l'Institut du Cerveau, et secondairement d'un institut de robotique et d'un institut d'épidémiologie. C'est donc par les disciplines connexes à la psychologie que Sorbonne Université parvient à dépasser la production de recherche en psychologie des plus grandes UFR de psychologie françaises.
L'Université PSL n'a pas non plus d'UFR de psychologie. Ses recherches en psychologie se situe principalement au sein du Département d'Etudes Cognitives de l'Ecole Normale Supérieure-PSL, et secondairement dans un laboratoire de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes-PSL, ce que confirme à nouveau l'analyse des publications.
Le fait que ces deux universités sans département de psychologie dominent le classement français ne peut que souligner la faiblesse de la recherche en psychologie dans les universités françaises, déjà évidente dans la comparaison internationale.
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Explications possibles
Il serait difficile de prétendre expliquer en quelques mots les raisons de la faiblesse de la recherche en psychologie en France, et je n'ai pas toutes les compétences ni les sources historiques qui me permettraient de le faire bien.
Pour brosser l'historique à grands traits, au XIXème et au début du XXème siècles, la France a compté parmi les pionniers de la recherche en psychologie, avec des figures comme Théodule Ribot, Pierre Janet (qui inspira Freud), Alfred Binet, ou encore Henri Piéron. Leurs recherches étaient parfaitement scientifiques, et solidement ancrées dans la physiologie. Mais leurs laboratoires n'ont jamais fait école dans les universités (1). De fait, les départements universitaires appelés à former massivement les étudiants en psychologie ont été créés au sein des facultés de lettres et sciences humaines, et leurs enseignants-chercheurs étaient principalement issus de la philosophie, et majoritairement hostiles à l'approche expérimentale et scientifique en psychologie. Cette orientation philosophique de la psychologie universitaire a préparé un terrain perméable à l'irruption massive de la psychanalyse dans les années 1960.
C'est là que ces considérations historiques rejoignent les multiples constats que j'ai déjà faits sur la psychologie française, notamment:
- le hold-up de la psychanalyse sur la psychologie clinique française, tout comme sur la psychiatrie.
- les recrutements d'enseignants-chercheurs en psychologie: [...]
- les enseignements proposés en psychologie (analyse des maquettes de masters).
- la tendance à préférer la publication des travaux en français et dans des livres, plutôt que dans des revues internationales en anglais, ce qui bien sûr ne facilite pas la visibilité des recherches françaises. Cette tendance est particulièrement prégnante en psychanalyse, mais a touché l'ensemble de la psychologie et des sciences sociales françaises, et ne s'inverse que lentement.
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Malgré ce tableau peu flatteur, on a de bonnes raisons de penser que le pire est passé. On peut imaginer que la psychologie française a touché le fond dans les années 70-80. Depuis, elle remonte la pente lentement: la psychanalyse est de plus en plus discréditée, la Haute Autorité de Santé a produit des recommandations pour la prise en charge d'un certain nombre de troubles cognitifs et mentaux, les chercheurs sont de plus en plus incités à publier leurs travaux au niveau international.
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Ne nous méprenons pas, la position dans un tel classement n'est pas un but en soi: c'est juste un indicateur imparfait d'une situation qui est par ailleurs parfaitement bien documentée. Espérons que d'autres universités françaises feront des choix différents, tournés vers l'avenir, vers la psychologie fondée sur des preuves au meilleur niveau scientifique international, au bénéfice des étudiants, des professionnels qu'ils deviendront, et des patients dont ils s'occuperont.