BS N° 36 Université d'Automne Hiver 2015 - Editorial PASCALINE GUÉRIN
Aucun sujet autiste ne ressemble à un autre ; ses troubles se modifient soit en intensité, soit en nature et qualité tout au long de sa vie. Four dépasser ce truisme, il convient peut-être de revoir les principes de nos raisonnements diagnostique, d'une part, et de nos méthodologies d'abord du fonctionnement cérébral, d'autre part.
L'idée d'organiser cette 13ème édition de l'Université d'Automne autour du thème central « Le développement n'a pas d'âge » découlait de trois constats.
Premièrement, la délimitation critériologique proposée par les classifications internationales des maladies mentales, y compris dans la 5ème version pour le DSM, circonscrit le trouble autistique sans tenir compte des manifestations cliniques connexes qui peuvent appartenir à d'autres troubles neurodéveloppementaux, tels le Trouble Déficit de l'Attention/hyperactivité, les troubles spécifiques du langage et des apprentissages, les troubles de la coordination motrice. Pourtant des chevauchements entre ces entités nosographiques existent aussi bien sur le plan phénotypique que génotypique, et soulèvent la question de leur parenté physiopathologique, voire étiologique, mais aussi de leur communauté de réponses aux différentes approches thérapeutiques proposées. Si, de par son inadéquation d'ajustement aux codes conventionnels présidant aux interactions interindividuelles, le fonctionnement autistique constitue un handicap social pour le sujet qui en est porteur, ce sont surtout les dimensions cliniques qui lui sont associées retard intellectuel, épilepsie, troubles du langage, syndrome dysexécutif qui obèrent l'évolution comportementale, développementale et adaptative du sujet. La proposition de décrire, dès leur premier repérage, les particularités du développement du jeune enfant, non plus en se cantonnant à l'identification ('un diagnostic principal, en l'occurrence le trouble autistique, mais en recensant l'ensemble des troubles dysfonctionnels observés, est sûrement plus adaptée aux réalités cliniques rencontrées. D'où le concept plus élargi de troubles neurodéveloppementaux,combinant des troubles dysfonctionnels précocement symptomatiques, qui pourraient être rattachés, si considérés séparément, à telle ou telle entité nosographique, alors que leur présence simultanée ou séquentielle chez le même sujet ne devrait pas faire privilégier un diagnostic par rapport à un autre. Ce nouveau concept proposé par Christopher Gillberg sous la terminologie « ESSENCE » pour « Early Symptomatic Syndromes Eliciting a Neuropsychiatrie and a Neurodevelopmental Clinical Examination » permet sûrement de s'approcher de façon moins figée de la réalité clinique et ainsi d'envisager des designs d'études biocliniques plus proches de l'expression fonctionnelle de la combinaison des troubles observés, à distance d'un étiquetage diagnostique catégoriel trop restrictif.
Deuxièmement, le fonctionnement cérébral est sous la dépendance d'une cinquantaine de substances neurotransmettrices ou neuromodulatrices différentes. Mais l'organisation et la mise en œuvre des réseaux neuronaux de communication qui sous-tendent ce fonctionnement vont dépendre de nos gènes, nos entraînements, notre éducation et nos expériences de vie et sont ainsi en perpétuels remaniements. Aussi s'est imposée l'idée de s'intéresser, pour mieux comprendre les dysfonctionnements cognitifs observés dans l'autisme, aux études menées :
- 1 soit sur des processus physiologiques comme les modifications pubertaires de l'adolescence,
2 soit dans d'autres champs de la pathologie humaine,
Par exemple, les mouvements anormaux (tics, TOC, stéréotypies), souvent difficiles à distinguer les uns des autres sur le plan clinique isolément des autres symptômes qui les accompagnent, sont médiés par les mêmes régions corticales et sous-corticales, mais selon des circuits différents.
Autre exemple. Les études sur le vieillissement nous montrent que la précocité d'installation de la maladie d'Alzheimer dépendrait de la réserve cognitive antérieure du sujet, c'est-à-dire de son niveau d'éducation et d'entraînement cognitif, qui jouerait ainsi un rôle protecteur dans le déclin cognitif lié au vieillissement physiologique ou pathologique. De même, des régions cérébrales, sièges du traitement des fonctions les plus élaborées dites supérieures (cortex frontal) et de la mémoire (hippocampe, gyrus cingulaire) sont les zones qui restent les plus actives chez les personnes âgées, afin de compenser les fonctions traitées de manière automatique chez le sujet jeune par les régions cérébrales plus postérieures et en place plus tôt sur le plan de l'ontogenèse. Le cerveau est donc capable de revenir à des fonctionnements plus dédifférenciés et complexes malgré l'âge.
- 3 soit sur les mécanismes inflammatoires, touchant en particulier la microglie,
système cellulaire assurant la défense immunitaire, la détoxication du cerveau su te à des affections bactériennes ou virales, mais aussi l'élagage neuronal et synaptique au cours du développement.
Ainsi des anomalies de la microglie seraient les marqueurs durables et identifiables après la naissance d'événements délétères, survenus durant la vie foetale et responsables de naissances prématurées puis de l'apparition ultérieure de troubles autistiques.
Troisièmement, l'étude du système nerveux entérique ouvre des perspectives innovantes pour l'étude du cerveau et la compréhension des troubles à traduction psychiatrique. L'organisation, la structure, la chimie du système nerveux entérique en font une réplique du système nerveux central, mais beaucoup plus accessible pour son exploration. L'intestin et le cerveau sont en communication constante, soit par voie sanguine, soit par voie nerveuse. Or, le système nerveux entérique est la première interface entre notre organisme et notre environnement via le microbiote (la flore intestinale), dont les modifications
induiraient des changements comportementaux significatifs et mesurables chez l'animal. D'où l'hypothèse qu'un dérèglement du microbiote pourrait déclencher, par augmentation de la perméabilité intestinale, des phénomènes inflammatoires et le passage de substances possiblement toxiques à la fois pour le système entérique et 1e système nerveux central du fait de leurs interconnexions. Dans le cadre de l'application de cette hypothèse à l'autisme, des corrélations entre anomalies du développement du cerveau et du système nerveux entérique ont été récemment observées chez l'animal. Par l'étude du système nerveux entérique, est escomptée la détection de biomarqueurs dans l'autisme plus facilement identifiables, car d'accès plus aisé, comme cela commence à être proposé pour des pathologies neurodégénératives telle la maladie de Parkinson.
Au total, le programme de cette université d'automne 2015 a tenté d'illustrer que les remaniements cérébraux sont constants en condition autant physiologique que pathologique (ce qui relève de la plasticité cérébrale), que le fonctionnement cérébral n'est pas fixé même avec l'âge, et que l'étude des troubles autistiques mérite peut-être de s'élargir au concept plus fonctionnel de troubles neurodéveloppementaux, dont les expressions sont variables et modulables selon l'âge, y compris sous l'effet des traitements pharmacologiques, des rééducations et de l'adaptation de l'environnement.
Pascaline Guérin Présidente du Comité Scientifique de l'arapi (2015).