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par Calme » samedi 12 août 2017 à 13:31
Et la moitié des exemples que tu cites relèvent des techniques de mémorisation, pour ce qui est du bac, et de l'anglais, précisément.
Sans vouloir être redondant, je pense que la chose la plus étonnante à laquelle nous ayons tous affaire, NT ou pas, c'est la nullité profonde de l'enseignement scolaire qui ignore absolument toutes les connaissances acquises ces dernières décennies quant au fonctionnement cérébral de la mémoire.
Pour la littérature, il y a diverses choses à distinguer. À commencer par la manière de lire.
J'ai longtemps déploré ne pouvoir discuter à propos de lecture avec quiconque, proches ou connaissances. Au fil des ans et à mesure que ma capacité de lecture grandissait, je m'apercevais de ce que "les gens" ne lisent qu'avec les yeux, tout échange à propos du livre ayant au mieux la teneur du fiche de lecture de classe de 3e, c'est-à-dire observation de l'intrigue en sa structure du début jusqu'au dénouement, considérations psychologisantes sur les personnages plus ou moins poussées en fonction de l'identification du lecteur auxdits personnages, et surinterprétations abusives et autocentrées.
Je côtoie des gens cultivés, des personnes avec un bagage intellectuel théoriquement lourd, et d'autres, évidemment. Tous La plupart croit qu'un livre se résume à l'histoire qu'il raconte et à la psychologie des personnages, ou au moins ce qu'ils en perçoivent. Il n'est que d'observer comme les romans naturalistes et toute la littérature du XIXe jouit de succès. Là, tout est dit chez la plupart des auteurs, et ne reste plus au lecteur que de se faire une image des espaces décrits, des physionomies détaillées, de l'atmosphère décryptée à quoi s'ajoutent des sentiments indubitables dont il est fait état à longueur de roman par le narrateur omniscient.
Les autres grands succès sont les polars qui reposent tant sur l'intrigue que sur la capacité du lecteur à suspendre son jugement si cette dernière est trop faible.
Et j'allais oublier tout le Nouveau roman où le rapport entre le narrateur et le lecteur joue à plein sur l'identification du second au premier et le semblant de puissance d'interprétation laissé par l'auteur au lecteur. Puis ça, les journalistes adorent, alors on en vend, on en parle et l'on oublie.
Dans un cas comme dans les autres, on tire sur les grosses ficelles et l'on se gonfle d'orgueil d'avoir su comprendre une époque et ses enjeux au travers des luttes de pouvoir entre machin et bidule ou d'avoir ressenti telle peine en suivant ce miséreux dans ses déboires ; on se fait une idée de ce que fut un siècle par la grâce de quelques mots ; on joue l'analyste en maniant de l'Œdipe et de l'Acte manqué pour décrypter le message assurément profond, parce qu'intime, qu'aura laissé entre les lignes l'auteur qui sous le masque d'un personnage nous aura courageusement montré son nombril ; on joue à l'enquêteur, comme assistant le détective, et cætera.
Qu'on ne s'y trompe pas, ce qui me sert d'exemple, je ne le méprise pas dans son ensemble et n'ai donné aucun titre afin qu'on veuille bien me laisser le bénéfice du doute et ne pas s'irriter.
Pour tout dire, j'ai dans l'idée que dans une œuvre, l'intrigue est le plus négligeable des éléments. Les véritables auteurs, quand ils veulent bien s'embarrasser de cette encombrante convention servant à séduire les moins aguerris, déploient tout leur arts dans des subtilités que nulle quatrième de couverture ou critique à la volée ne saura résumer. D'ailleurs, dans l'art, tout ce qui peut se résumer n'en est pas.
Mais justement, l'on ne nous apprend à lire que pour résumer, et les agencements d'événements dans le récit, une fois réduits à quelques mots et impressions vagues finissent par tous se ressembler. Pas étonnant, dès lors, qu'on ait des difficultés à s'en souvenir.
Les œuvres, au sens artistique du terme, on peut les relire cent fois, et cent fois elles seront renouvelées. Qu'importe l'intrigue ou non.
Le reste, ça n'est que des bouquins qu'on lit pour oublier.
Le propre du divertissement est d'effacer la mémoire.
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Calme le mardi 5 septembre 2017 à 1:46, modifié 5 fois.
Mâle adulte de 30 ans Diag. en cours — Pistes évoquées : SED, TSA, HPI
« Là où la modération est une erreur, l'indifférence est un crime. »
— G.C. Lichtenberg, in Le miroir de l'âme